C’est presque du Jacques Tati. Voyage de Fribourg à Berne debout pour cause d’heure de pointe, avec la porte qui me coulisse dans le dos, et des passagers qui s’obstinent à traverser le train dans tous les sens pour trouver de la place. Nous sommes au coude à coude, avec à peine assez d’espace pour ouvrir un livre, et le train qui tangue sur les rails met notre sens de l’équilibre à rude épreuve. Dans le wagon adjacent, une foule d’Hindous endimanchés arrivent en droite ligne de Genève-aéroport. Ils gesticulent, crient, s’interpellent à qui mieux-mieux, l’air paniqué. La perspective d’arriver à Berne, probablement: voilà qu’à un bon quart d’heure de trajet de la capitale, ils entreprennent déjà de transporter leurs volumineux bagages près de la porte du wagon, soit là où nous nous trouvons serrés comme des sardines! Sans aucun égard, ils halent des valises à coque, des sacs de sport énormes, piétinant nos orteils, nous écrasant encore un peu plus contre les parois. Une dame se réfugie dans les WC, aussitôt remplacée par une grosse valise qui lui barre la route. Et les Hindous, magnifiques dans leurs saris et costumes bien coupés, continuent de crier et de gesticuler. Je jette un regard d’excuse à mon voisin, pratiquement encastré dans le marchepied. Mais il ne me voit pas: il reste concentré sur la plaque de chocolat qu’il garde bien à plat dans sa main ouverte. Arrivée à Berne, enfin. Dans la bousculade inévitable et multiculturelle qui s’ensuit, la plaque de chocolat tombe par terre. Le jeune homme la ramasse in extremis avant qu’un pied ne la foule, mais malheur: elle est toute molle, fondue par la chaleur de la paume qui la tenait. A voir la mine désolée de son propriétaire, ce devait être un cadeau, le dessert du soir, peut-être. C’est stupide à dire, mais cela m’a fait mal au coeur. Les nerfs, probablement, après ce trajet infernal.