Pas de chance ce matin: l’intercity Lausanne-Berne arrivera à Fribourg avec 25 minutes de retard. C’est l’heure de pointe, les quais sont bondés de gens un peu vitreux portant des cafés ou grillant une salvatrice cigarette. Pour y remédier, on nous suggère de prendre le train régional. La rame aux allures de métro semble avoir des ressources spatiales insoupçonnées, puisqu’elle absorbe sans trop de problèmes les naufragés de l’intercity et les passagers habituels de la ligne. Le convoi s’ébranle tandis que la bonne humeur revient: après tout, on arrivera peut-être à l’heure au bureau. Mais c’est sans compter avec les arrêts intermédiaires, qui sont légion entre Fribourg et la capitale helvétique. A chaque gare, même la plus petite (certaines se résument à une cabane de bois en pleine campagne), c’est un nouveau flot de passagers qui monte. Les moindres recoins se remplissent, certains voyageurs debout finissent presque sur les genoux des gens assis. A chaque gare, je me persuade que l’on ne pourra plus ajouter personne. Et pourtant, ça se remplit toujours. Je suis coincée dans un angle, entre le sac à dos d’un employé de la poste (son badge pend à la ceinture) et une dame au parfum sucré qui regarde poliment dans le vague. Comme je ne peux pas pencher la tête, je ne sais pas si mon sac est toujours entre mes pieds. Le train commence à ressembler à une boîte de sardines géantes. Même si les gens restent stoïques, la tension est palpable, et le trajet paraît interminable. Enfin, on annonce le terminus. Ouf! Mais la délivrance complète, le point final de l’histoire, provient d’une toute petite fille, qui devait se sentir bien coincée au milieu de toutes ces jambes d’adultes. Faisant écho au haut-parleur, elle s’écrie soudain avec enthousiasme, dans le silence plombé du wagon: “Berne!”. Du coup, les visages s’éclairent, et lorsque les portes s’ouvrent, tout le monde sort du train avec le sourire. Après tout, le voyage ne s’est pas si mal déroulé.