Victor Tourterelle vient de mourir. Il s’est brisé le cou dans sa salle de bain en marchant sur un jouet de son fils. Réduit à l’état de squelette parlant et pensant, il réémerge soudain au cœur d’un univers lunaire, flottant, fait de déserts et de grandioses îlots architecturaux. Un univers peuplé d’autres squelettes, dont un étrange facteur à vélo, et dont la plupart sont aussi résignés que rafistolés (du reste, notre héros devra bientôt remplacer sa calotte crânienne par un dessus de moulin à café) : ils trompent leur ennui en avalant des demis de mercure ou d’acide chlorhydrique en attendant le prochain « jerrican-surprise » ! Là-bas, le café, ultime relique du monde terrestre, est devenu liqueur sacrée dispensatrice de visions. Mais Victor, rebaptisé Mardi Gras-Descendres, refuse d’accepter sa condition: puisque ses questions restent sans réponse, il sème le trouble, emmêlant les tibias et dispersant les vertèbres… Ce qui lui vaut d’être envoyé à l’asile. Il y est bientôt kidnappé par une société secrète, dont le chef veut exploiter les talents de cartographe de Mardi-Gras. Ceci afin de dresser enfin la carte détaillée de ce monde mystérieux où ils se trouvent et dont ils ne savent que le nom : Purgatoire. Tâche titanesque que notre héros doit remplir en échange de son âme, préalablement recueillie dans une petite fiole. Acculé, Descendres se met donc à la tâche : il entreprend un voyage fantastique à bord d’une nef volante, à grands renforts de café…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette bande dessinée est d’une originalité à toute épreuve, autant par l’intrigue que par le graphisme : un noir et blanc sophistiqué, qui dépeint bien le vide glacé de ce surprenant Au-delà où flottent les bateaux et les cathédrales gothiques. Il évoque à merveille la poussière, les étoiles, les enchevêtrements des foules osseuses. Liberge parvient même, tout en restant naturaliste, à rendre les squelettes aussi individuels qu’expressifs. On lit comme un roman ce récit rocambolesque où l’humour côtoie l’absurde et le tragique, personnifiés par un Des Cendres toujours attachant. Une pure merveille, dont on attend l’ultime épisode avec impatience, Sainte Pourriture !
Eric Liberge : Monsieur Mardi-Gras Descendres. Editions Pointe Noire.
1.Bienvenue ! 2. Le téléscope de Charon ; 3. Le pays des Larmes