Périodiquement, il faut faire ressemeller ses bottes, usées par les kilomètres parcourus sur le bitume d’ici et d’ailleurs. Je les confie donc au cordonnier, et passe les récupérer quelques jours plus tard. En attendant que le commerçant sorte de son atelier, qui fleure le cuir et le camembert(?), je parcours des yeux les étagères derrière la caisse, où plusieurs paires de chaussures réparées et dûment étiquetées attendent leur propriétaire. Bizarre, je ne trouve pas les miennes; ne seraient-elles pas encore prêtes? Les seules qui leur ressemblent vaguement sont des bottines de cuir noir avachies et très déformées. Pas à moi, ces horreurs, pense-je, vaguement dégoûtée. Et pourtant… Le cordonnier prend mon ticket, et c’est précisément cette paire-là qu’il me tend. Rouge de honte, je les fourre dans un sac et m’enfuis, tête basse. Eh oui, les kilomètres, ça use drôlement, et pas que les semelles!
Le discours passe par l’estomac
Vernissage d’une exposition au Musée d’art et d’histoire. Discours d’inauguration un peu formel des organisateurs devant un parterre de spectateurs contenus, qui rient ou applaudissent poliment aux moments opportuns. A la fin du laïus, on annonce un apéritif, avec dégustation spéciale d’hydromel : c’est alors un vaste murmure d’approbation (« mmmh ! »), terriblement spontané, qui dégèle l’assemblée ! Surtout les femmes, m’a‑t-on assuré. Mais à mon avis, ce ne sont pas des mains uniquement féminines qui se sont ruées ensuite sur les verres du délicieux breuvage… D’ailleurs, je n’en ai même pas eu!
Alexandre, ce héros
Il y a quelque temps passait au cinéma un film retraçant en grande pompe la vie et la carrière d’ Alexandre le Grand. En librairie, ce film a suscité une soudaine floraison d’ouvrages plus ou moins scientifiques consacrés au conquérant (à croire qu’ils sommeillaient dans les tiroirs en attendant la sortie d’un film, justement). Qu’un film relance l’intérêt du public pour un personnage historique, soit. Mais ce qui me laisse perplexe, c’est cette bande de papier rouge placée en travers d’une biographie, proclamant en grandes lettres blanches: “Retrouvez les héros du film”. Le cinéma semble-t-il désormais plus vrai que l’histoire? Ou alors, ne conçoit-on plus l’histoire que comme un film? A moins qu’Alexandre, personnage auréolé de mythe, ait simplement l’étoffe parfaite d’un héros de pellicule… quitte à confondre?
Fin de fouilles
Ca y est: après 3 ans, notre campagne de fouilles prend fin. Malgré le froid, la boue, la canicule, les heures passées à écoper les secteurs inondés ou à dégeler le sol durci, malgré les WC sans chauffage ni chasse d’eau, les tendinites et autres lumbagos, les longues périodes sans découverte, malgré la pluie, le vent arracheur de tentes, les fastidieuses rectifications de stratigraphies, les dessins à faire couché dans l’eau, les aspirateurs bouchés, les grincements humains, les pieds congelés, les lourdes brouettes à pousser, les décapages interminables, les oreilles de cochon cachées par de petits plaisantins… et tant d’autres détails pittoresques: j’ai ressenti un gros pincement au coeur cet après-midi en voyant nos serres en cours de démontage. Leurs armatures métalliques se dressaient soudain toutes nues, comme les côtes d’un squelette de baleine échoué au milieu des secteurs vides. Nous avons d’ailleurs fini sur un petit clin d’oeil: la voiture d’un archéologue étranger venu nous rendre visite était immatriculée TB 22 , soit “Tombe 22” dans le jargon abréviatif que nous utilisons dans la doc de terrain! Doc de terrain qu’il est maintenant temps d’empoigner pour en tirer la substantifique moelle…
Sur ma déclaration d’impôts
Revoici venu le temps honni de la déclaration d’impôts, rendez-vous annuel auquel on n’échappe pas, arghl. Un détail amusant toutefois: sur la première page, qui décrit la “situation personnelle, professionnelle et familiale”, plusieurs éléments ont été préimprimés: mon nom, ma date de naissance, mon état civil et même ma religion. Par contre la rubrique “fille de” est vide! A croire que le nom de mes géniteurs est susceptible de changer d’année en année, et ce au contraire de ma confession! C’est vrai, nous sommes à Fribourg.