Samedi soir dernier, peu après l’ouverture du Mondial, appartements et cafés résonnaient des premiers hurlements tandis que les rues semblaient étrangement vides. Ce n’est qu’un peu plus tard (après le match!) que l’habituelle foule juvénile a investi la ville. De nombreux hommes/garçons arboraient en guise de “costume de soirée” les maillots de leurs équipes favorites. Les filles quant à elles ne semblaient pas avoir pas modifié leur look: elles portaient leurs habituelles tenues hétéroclites mêlant toile militaire et couleurs pastels, échancrées, “sexy”. Le football est donc un phénomène essentiellement mâle, ai-je conclu; la preuve, les agences de voyage font même des offres spéciales pour les femmes qui désirent fuir le Mondial! Mais je me trompais lourdement. En passant devant les étalages d’une boutique de mode, voilà que je vois… des brassées de maillots de foot pour dames. Echancrés, “sexy”.
Sept têtes au choco
Vus dans la vitrine d’une confiserie bernoise, parmi diverses friandises aussi tentantes que peu raisonnables (Bienenstich, cake au citron recouvert de glaçage, kouglof, pralinés décorés de l’ ours local, tourte au kirsch, panettone (?), etc.): des chocolats représentant les visages des sept conseillers fédéraux! Leurs petites têtes noires et brillantes souriaient aimablement dans une boîte dorée, moulées avec plus ou moins de ressemblance (par exemple, le nez de M. Couchepin est un peu trop petit). C’est que le magasin n’était pas bien loin du Palais fédéral. Une idée pour le moins originale, qui permettra peut-être à certains mécontents d’avaler plus facilement les hauts et les bas de la politique hélvétique. A moins qu’ils ne préfèrent n’en faire qu’une bouchée!
La camionnette blanche
Elle a passé comme un rêve, quelques instants dans le trafic de midi, cette camionnette blanche un peu vieillotte. Depuis la fenêtre du bus, j’ai pu glisser un oeil dans son coffre: il était rempli de gros bouquets de pivoines mêlées de fleurs vert pâle, et de ballons roses bonbon attachés par des rubans de satin. Un mariage champêtre? Un anniversaire poétique mais stylé? En tout cas la conductrice, dont on n’apercevait que les mains, n’avait rien laissé au hasard: son sac, sur le siège, se décorait d’un tissu imprimé de fleurs roses et vertes parfaitement assorti à la cargaison! Une fée, peut-être?
“Hop Schwitz”
Bon, c’est bientôt le Mondial. Difficile d’y échapper: les revues éditent des suppléments, les magasins d’électronique font des offres sur les TV à écran plat, des boutiques entières sont réservées aux gadgets (de la mascotte en peluche géante à la garniture de lit, en passant par les klaxons, les casquettes, les maillots, etc…), le boulanger du coin vend une miche de pain spéciale, le supermarché un steack tout rond, et les médias nous en rebattent les oreilles, allant jusqu’à dispenser aux futurs téléspectateurs des conseils-santé pour éviter les malaises cardiaques dûs à trop d’émotion (goaaaal!). Dangereux, le sport en chambre. Sans parler de la prise de poids consécutive aux quantités de chips et de bière ingurgités devant le poste! D’ailleurs, même la revue culinaire à laquelle je suis abonnée s’y est mise: ce mois-ci, elle propose des plats à grignoter devant la télé et une tourte décorée d’un petit terrain de foot en massepain vert. Mais le plus fort, c’est quand même le propriétaire de cet immeuble à Neuchâtel, qui a installé à tous les balcons de nouveaux stores, rouge vif, décorés d’un ballon de football et inscrits de la devise: “Hop Schwitz”.
Zürich au printemps
Dans la Bahnofstrasse, les vitrines des grands couturiers présentent des chiffons informes; la haute couture ne fait décidément plus rêver. C’est aussi ce que doit penser ce vieux mannequin en bois au coeur du marché aux puces, exposé entre un vélo rouillé et un fauteuil Voltaire. La foule se presse à la terrasse de chez Sprüngli pour déguster de minuscules tranches de gâteau hors de prix. Traversée symbolique de la Paradeplatz, mythe du Monopoly. Une façade de la vieille ville s’orne de parapluies dorés et d’un chameau. Dommage que les vitraux de Chagall soient inaccessibles pour cause de travaux (un panneau l’explique même en japonais). Dans le jardin botanique tapissé d’ail des ours, un geai s’envole à quelques pas de nous; des gens lisent sur des chaises de bois à l’ombre des bambous et des orangers en fruits. Puis nous longeons un canal où un parcours d’exercices asiatiques, photos kitsch à l’appui, propose de remettre d’aplomb les businessmen stressés. Lorsque le soir tombe, le lac prend des teintes d’aquarelle. Les arbres sous lesquels nous passons ont des frondaisons immenses comme des tentes de cirque, et l’eau qui baigne les bateaux dans le port de plaisance est toute poisseuse de pollen jaune. Le long des rives, une fontaine en forme de grosse boule rose déborde tranquillement. C’est le moment de rentrer. Dans le hall de la gare, la Nana de Niki de Saint Phalle nous fait un dernier signe de la main.