Les chats de la cathédrale

Juste en face de la cathé­drale de Fri­bourg, une petite galerie d’art hébergeait  il y a peu la faune en céramique poé­tique de Shoshana Kneubühl.  Ce sont les chats qui m’ont plu le plus: avec leurs vis­ages jouf­flus, leurs formes arrondies, leur pelage aux couleurs oniriques, ils sem­blaient tout droit sor­tis d’un con­te.  En vit­rine, un matou était d’ailleurs plongé dans un livre, et au sous-sol, le chat bot­té restait sus­pendu au milieu d’une large enjam­bée. J’au­rais bien voulu en adopter un, mais hélas ma bourse ne voulait rien savoir.  D’autres vis­i­teurs plus argen­tés s’é­taient déjà servis, lais­sant dans les rangs félins des trous ornés d’un point rouge. L’un d’eux devait être un farceur, puisqu’à la place de la stat­uette, à côté de l’é­ti­quette numérotée, il avait posé…un cen­dri­er. Juste au-dessus, dans une niche creusée dans le mur médié­val blanchi à la chaux, un gros chat vieux rose riait de toutes ses dents. Apparem­ment, lui aus­si trou­vait ça drôle.

L’étrange voleur

Un cycliste en pleine course qui venait de crev­er devant le cen­tre com­mer­cial? Un fétichiste de la couleur bleue? Un artiste errant, son chef d’oeu­vre inachevé à la main? Une clé lasse de grin­cer dans sa ser­rure? Une vieille dame anglaise assoif­fée de thé? Je me demande qui était l’é­trange klep­tomane qui, same­di dernier, a volé le sac pen­du au cro­chet de notre cad­die. Il con­te­nait en effet le fab­uleux butin suiv­ant: deux cham­bres à air de vélo, une vieille jaque­tte bleue, du fix­atif en bombe pour dessins au pas­tel, un fla­con d’huile uni­verselle et une tasse en porce­laine à motif de fleurs roses.…

Gastéropodes gastronomiques

La pre­mière fois que j’ai mangé des escar­gots, ou plutôt, un escar­got (il s’agis­sait de nou­velle cui­sine), c’é­tait par erreur: ayant mal lu le menu inter­minable d’un repas de bap­tême, je l’avais pris pour un gros champignon. Même sa con­sis­tance caoutchou­teuse ne m’avait pas mis la puce à l’or­eille! Quant à son goût, il ne m’a lais­sé aucun sou­venir durable. J’ai voulu reten­ter l’ex­péri­ence, en toute con­nais­sance de cause cette fois. L’autre soir, j’ai donc pris un escar­got gar­ni de vert beurre aux fines herbes (un peu rance d’ailleurs). Mais erreur suprême, au lieu d’avaler la bête d’une seule bouchée, je l’ai cro­quée par la moitié. Et me suis retrou­vée nez-à-nez avec une artère béante qui dépas­sait de sa chair élas­tique, ren­due grisâtre par la cuis­son. Du coup, la bouchée entamée n’a pu descen­dre qu’à grands ren­forts de beau­jo­lais, tan­dis que le dernier morceau restait sur l’assi­ette. Côté goût, tou­jours rien à sig­naler. Mais cette fois-ci était prob­a­ble­ment la dernière!

Les grandes eaux

C’est le déluge dans le can­ton de Fri­bourg. Les seaux déver­sés par le ciel s’ac­cu­mu­lent dans la terre qui les régur­gite de partout. Les caves se rem­plis­sent, les champs se changent en lacs, les riv­ières quit­tent leurs lits, les grilles d’é­gouts lan­cent des gey­sers brunâtres, les routes devi­en­nent miroirs liq­uides. Le ter­rain glisse, allant jusqu’à faire dérailler le train. L’air résigné sous la visière de leurs casques, des pom­piers tout bardés d’im­per­méable sur­veil­lent l’ar­mée de pom­pes qui tour­nent à plein régime. Une pan­car­te “A ven­dre” flotte ironique­ment sur l’eau d’un verg­er inondé. Les seuls à se réjouir sont les canards, qui ont investi sans tarder tous ces nou­veaux étangs! Et peu importe si leurs pattes en touchent le fond.

La complainte des gants perdus

En hiv­er, ils se ramassent à la pelle. Pour autant que l’on en ait envie, car ils gisent sou­vent dans la boue, les flaques ou la saleté. Ils jonchent les trot­toirs, les murets, le sol des bus, l’asphalte des park­ings. Pau­vres loques détrem­pées, gelées, piét­inées par les semelles des pas­sants, aplaties sous les pneus des voitures, par­fois empalées sur des grilles par une main cru­elle, et tou­jours irrémé­di­a­ble­ment, dés­espéré­ment, soli­taires. Ce sont ces gants sans paires que l’on a oubliés, ou qui sont sournoise­ment tombés d’une poche ou d’un sac. Quel triste sort. Hélas, j’ai apporté ma con­tri­bu­tion à l’hécatombe : de petits gants en ango­ra noir, per­dus un soir sur la ban­quette d’un train. Seule con­so­la­tion : ils étaient pro­pres, et ils étaient deux !