Il était assis sur un muret au bord de la route, abandonné, les bras tendus vers le flot de voitures et les quelques piétons qui passaient dans l’indifférence. Lui, c’était un ours en peluche, et ce spectacle navrant, aperçu un matin depuis la fenêtre du bus, m’a serré le coeur. Ma première pensée fut pour l’enfant qui l’avait oublié là, et qui devait être bien triste. Il reviendra le chercher, pensai-je. Mais le soir, l’ours était encore là. Et le lendemain, de même. L’enfant en question n’était pas bien pressé de le récupérer, finalement. L’image de ce pauvre naufragé commença à me hanter, au point que je décidai de le recueillir. Oui, j’ai un faible pour les peluches, et surtout pour les ours… Le jour suivant, je commençais un nouveau travail, dans une autre ville. Je dus donc patienter. Toute la journée, je pensai à lui, espérant avec ferveur qu ‘entretemps, la voirie ne l’aurait pas emporté pour le mettre au rebut. C’est donc assez fébrile qu’en fin d’après-midi je pris le train (train qui par-dessus le marché était en retard), et me précipitai vers le muret sur lequel je l’avais vu… Il y était encore! J’aime à croire qu’il m’avait attendue. Sous le regard perplexe des automobilistes, je le soulevai délicatement pour l’examiner. Surprise: ce n’était pas un jouet ordinaire, mais un ours ancien, rempli de paille, avec un nez en verre, une petite langue de feutre et des pattes doublées de cuir. Il sentait un peu le moisi après son séjour dehors, mais semblait autrement en bon état. Le coup de foudre fut immédiat. En retournant vers la gare, mon butin dans un sac en plastique un peu trop transparent, je craignais à tout moment que quelqu’un me rattrape et me le prenne, prétextant que cet ours était le sien… Mais rien ne se passa, et le nouveau pensionnaire, baptisé désormais Arthur, parvint sans encombres à sa nouvelle demeure. Après un nettoyage au bicarbonate et de longues séances de séchage au soleil, il a pris place sur le canapé du salon à côté d’Oscar, un ours en peluche plus moderne. Les deux larrons semblent bien s’entendre malgré leur différence d’âge, et je donnerais cher pour entendre leur conversation. Car l’histoire d’Arthur, qui l’a mené sur ce muret au bord d’une route, reste pour moi un mystère!
Catégorie : Histoires naturelles
Le regard du chat
En descendant vers la Basse ville, deux grandes fenêtres rectangulaires qui ressemblent à des vitrines. Derrière l’une, une belle orchidée en fleurs. Derrière l’autre, un chat tigré. Immobile comme une porcelaine (je l’ai d’abord pris pour un bibelot!), il garde les yeux fixés sur un point précis, quelque part vers les hauteurs. Plusieurs passants s’arrêtent pour admirer l’animal, et suivent son regard pour voir ce qui retient ainsi son attention. Intriguée, je tente moi aussi l’expérience… Rien. Les yeux tombent très exactement au-dessus des toits dans le ciel matinal, gris et nu! Tout le monde repart perplexe. Le chat continue de fixer le vide d’un air concentré. Je suis sûre qu’il fait exprès, et qu’intérieurement, il se marre…
Mon beau sapin…
D’Irlande en vrac (4): Fungie de Dingle
Dingle, charmant petit port blotti dans une baie, sur la péninsule du même nom. Ce n’est pas son atmosphère paisible ou ses façades aux teintes pastel qui y attirent le plus de visiteurs, mais… un dauphin. Celui-ci, qui s’est apparemment apprivoisé lui-même, a élu domicile dans la baie depuis les années 80, et joue sans se lasser avec les bateaux et les nageurs qui viennent lui rendre visite. Baptisé Fungie (fun guy), il est même devenu l’attraction touristique principale de l’endroit, et fait l’objet de promenades en bateau régulières. Grands amateurs d’animaux, nous nous sommes offerts la croisière; un peu chère, mais après tout, il n’est pas si fréquent de voir un dauphin sauvage. Nous embarquons donc avec une dizaine d’autres personnes sur un petit bateau ouvert aux banquettes de bois, par un bel après-midi ensoleillé. Les paysages de la baie sont dignes d’un tableau impressionniste: phares aux couleurs vives, falaises ridées tapissées de fleurs roses, prairies aussi veloutées que des terrains de golf, rochers aux formes tarabiscotées, vols de goélands, mer d’un bleu profond,… On se sent vraiment en vacances. On se prend presque pour des marins au long cours. En même temps, bien sûr, on scrute les vagues, se demandant si et où le dauphin apparaîtra. S’il ne se montre pas, la balade est gratuite: il faut croire que la rencontre est garantie! Soudain, un cri, et tout le monde se rue à tribord, faisant pencher dangereusement l’embarcation: une silhouette sombre et fuselée file sur le flanc du bateau! Une pirouette montre la nageoire dorsale, le trou de respiration, la queue. Puis Fungie reste invisible un long moment. Tout le monde est excité, et serre fébrilement son appareil photo en observant les alentours. Le dauphin réapparaît plus loin, près d’un autre bateau, avant de plonger à nouveau. L’espace de quelques secondes, nous le voyons même sortir de l’eau sa bouille souriante et pousser un petit cri comme pour nous saluer. Ce jeu de cache-cache dure ainsi pendant presque une heure, avec à chaque apparition du cétacé des exclamations enthousiastes et le bateau qui tangue fortement tandis que les gens se précipitent d’un côté à l’autre. Je ne suis même pas sûre qu’il y avait des gilets de sauvetage sous les bancs! Finalement, nous regagnons le port, un peu fatigués, très contents. Tous les participants ont le sourire aux lèvres. Pour bien conclure l’excursion, nous nous faisons tirer le portrait aux côtés du héros du lieu. Pas en vrai, bien sûr, mais en bronze: Fungie a sa statue grandeur nature sur la place près du port! A vrai dire, il nous semble un peu émerger d’un songe. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises aquatiques. Lorsque dans la foulée nous avons visité l’aquarium, nous avons eu l’occasion de…caresser des raies et des soles qui venaient faire le beau! Contrée particulière que l’Irlande, décidément.
Le renard dans l’escalier
Fraîchement revenue de notre grand bol d’Eire, la tête encore pleine de trèfles (prononcer “shamrock”), je sors de l’ appartement les bras chargés de linge sale, dans le but d’aller faire la lessive à la buanderie de l’immeuble (après un mois de pérégrinations, ça devenait plutôt urgent). Première chose visible dans l’entrebaîllement de la porte: une crotte, modèle canidé, taille petite à moyenne, d’aspect frais. Le chien de la voisine du dessus se serait-il oublié sur mon palier ? J’ouvre davantage… et tombe sur un jeune renard tout effrayé, qui me regarde avec des yeux comme des soucoupes! Je referme la porte, et annonce calmement à mon mari qu’il y a un renard dans l’escalier. Celui-ci croit d’abord à une blague, bien sûr. Les légendaires Goupils qui gravitent autour de la maison chaque soir s’en tiennent strictement au compost.… d’habitude. Il enfile donc un pantalon par-dessus son pyjama et empoigne le balai. Une fois constatée la véracité de mes propos, il en appelle à la fois à ses talents de biologiste et d’ex-gardien de zoo pour diriger l’animal, plus terrifié que jamais, vers la sortie. A force de patience et d’habiles manipulations, portant parfois littéralement la bête au bout du balai, il parvient à la faire redescendre. Celle-ci file dans le jardin sans demander son reste, non sans avoir laissé un “cadeau” (liquide ou solide) à chaque étage. La concierge, qui a ouvert sa porte et l’a presque vu filer devant elle, lève les bras au ciel. On nettoie, on rigole, et on s’étonne que telle situation ne se soit pas produite plus tôt, puisque la porte d’entrée ouvre pratiquement sur la forêt. Quoiqu’une cage d’escalier d’immeuble n’a en soi rien de très attirant pour un renard, même si y habite un biologiste anciennement spécialisé dans le renard urbain! Notre visiteur s’était probablement égaré en quête de territoire. Heureusement pour tout le monde, l’épisode ne s’est pas répété. Mais il a mis une majuscule sympathique à notre retour à la Pisciculture.