A peine avons-nous débarqués à Aerfort Bhaile Atha Cliath (sic), l’aéroport de Dublin, que nous pouvons déjà nous payer une tranche d’humour irlandais. Nous hissons laborieusement notre mois de bagages à bord du bus qui doit nous amener au centre-ville, un double-decker identique à ceux de Londres hormis ses couleurs bleu et jaune. Autour de nous, beaucoup de rouquins aux yeux clairs, dont les visages un peu taillés à la serpe rappellent exactement les Irlandais des films américains. S. se rend auprès du chauffeur, placé à droite puisqu’en Irlande on roule à gauche, pour acheter nos billets. L’employé est prolixe. Il lui explique longuement les avantages des tickets aller-retour, qui sont disponibles à un distributeur planté à quelque distance de là. Mais S. n’a envie ni de courir, ni de se battre contre cette machine inconnue (les infernaux distributeurs fribourgeois nous ont un peu traumatisés à cet égard) en espérant que le bus, censé l’attendre, ne parte pas sans lui, emportant ses valises et son épouse vers l’inconnu (en l’occurence Busaras, la gare routière de la capitale; mais bon, on vient juste d’arriver, et tout est encore inconnu). Il choisit donc de prendre deux billets simple course, qu’il peut acheter directement auprès du chauffeur. La réaction est immédiate, avec un accent à couper au couteau: “And after all that, you still want a single-way ticket?” (Et après tout cela, vous voulez quand même un billet simple course?). Le visage reste impassible, mais les yeux pétillent. Bienvenue en Irlande!
Catégorie : Irlande
D’Irlande en vrac (4): Fungie de Dingle
Dingle, charmant petit port blotti dans une baie, sur la péninsule du même nom. Ce n’est pas son atmosphère paisible ou ses façades aux teintes pastel qui y attirent le plus de visiteurs, mais… un dauphin. Celui-ci, qui s’est apparemment apprivoisé lui-même, a élu domicile dans la baie depuis les années 80, et joue sans se lasser avec les bateaux et les nageurs qui viennent lui rendre visite. Baptisé Fungie (fun guy), il est même devenu l’attraction touristique principale de l’endroit, et fait l’objet de promenades en bateau régulières. Grands amateurs d’animaux, nous nous sommes offerts la croisière; un peu chère, mais après tout, il n’est pas si fréquent de voir un dauphin sauvage. Nous embarquons donc avec une dizaine d’autres personnes sur un petit bateau ouvert aux banquettes de bois, par un bel après-midi ensoleillé. Les paysages de la baie sont dignes d’un tableau impressionniste: phares aux couleurs vives, falaises ridées tapissées de fleurs roses, prairies aussi veloutées que des terrains de golf, rochers aux formes tarabiscotées, vols de goélands, mer d’un bleu profond,… On se sent vraiment en vacances. On se prend presque pour des marins au long cours. En même temps, bien sûr, on scrute les vagues, se demandant si et où le dauphin apparaîtra. S’il ne se montre pas, la balade est gratuite: il faut croire que la rencontre est garantie! Soudain, un cri, et tout le monde se rue à tribord, faisant pencher dangereusement l’embarcation: une silhouette sombre et fuselée file sur le flanc du bateau! Une pirouette montre la nageoire dorsale, le trou de respiration, la queue. Puis Fungie reste invisible un long moment. Tout le monde est excité, et serre fébrilement son appareil photo en observant les alentours. Le dauphin réapparaît plus loin, près d’un autre bateau, avant de plonger à nouveau. L’espace de quelques secondes, nous le voyons même sortir de l’eau sa bouille souriante et pousser un petit cri comme pour nous saluer. Ce jeu de cache-cache dure ainsi pendant presque une heure, avec à chaque apparition du cétacé des exclamations enthousiastes et le bateau qui tangue fortement tandis que les gens se précipitent d’un côté à l’autre. Je ne suis même pas sûre qu’il y avait des gilets de sauvetage sous les bancs! Finalement, nous regagnons le port, un peu fatigués, très contents. Tous les participants ont le sourire aux lèvres. Pour bien conclure l’excursion, nous nous faisons tirer le portrait aux côtés du héros du lieu. Pas en vrai, bien sûr, mais en bronze: Fungie a sa statue grandeur nature sur la place près du port! A vrai dire, il nous semble un peu émerger d’un songe. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises aquatiques. Lorsque dans la foulée nous avons visité l’aquarium, nous avons eu l’occasion de…caresser des raies et des soles qui venaient faire le beau! Contrée particulière que l’Irlande, décidément.
D’Irlande en vrac (3): Shopping du soir à Belfast (2)
Peu après l’épisode des lunettes belfastoises, j’entre dans un magasin de chaussures et tombe en arrêt devant une fort jolie paire: de fines baskets en cuir brun à empiècements de satin fleuri bordeaux. Malheureusement, il n’y a qu’un modèle d’exposition, trop grand, et comme les pointures sont anglaises, je ne sais pas laquelle demander. C’est que nous sommes ici au Royaume Uni- même s’il semble impossible de dénicher un café servant des afternoon teas avec des scones… Prenant donc à deux mains mon courage, la basket et mon meilleur anglais (pas toujours performant dans ce pays), je vais me renseigner auprès du vendeur. Costard gris foncé et crête de coq gominée, celui-ci s’avère étonnamment efficace. Sans tergiverser, et sans avoir l’air autrement étonné de ma requête, il sort de derrière son comptoir un instrument que je n’avais plus vu depuis mon enfance (époque où ma pointure changeait très vite): une sorte de semelle géante avec une réglette coulissante servant à mesurer la longueur du pied. J’ôte donc mes chaussures de randonnée, un peu gênée d’exposer mes chaussettes imprégnées de toute une journée de visites (par chance, elles ne sont pas trouées), et me plie à l’exercice. Verdict: taille 4. Une vendeuse m’apporte bientôt les chaussures en question, qui vont très bien. Marché conclu. Je quitte le magasin avec ma carte de crédit plus légère de quelques dizaines de livres, et l’espoir que l’automne suisse ne soit pas trop pluvieux pour que je puisse porter mes nouvelles acquisitions. En ce qui concerne l’afternoon tea, prononcé high tea en Irlande, il a finalement eu lieu quelques jours plus tard. Il a même été particulièrement high, puisque je l’ai pris durant le vol de retour, à 11’000 mètres d’altitude!
D’Irlande en vrac (2): Shopping du soir à Belfast (1)
Notre séjour à Belfast nous rapprochant gentiment de la fin de notre périple, il était temps de penser aux cadeaux et autres souvenirs. Après une journée de visites culturelles bien remplie (selon nos habitudes), nous avons donc voulu profiter des ouvertures du soir pour faire un peu de shopping. Mais surprise: outre les centres commerciaux ou les grandes chaînes, assez peu de magasins restaient ouverts, et la zone commerçante, pourtant trépidante la journée, ressemblait à un vaste désert. Un peu étrange pour une capitale… Ce qui n’a heureusement pas empêché de faire quelques achats intéressants. Pour commencer, une paire de lunettes de soleil seyantes: un miracle auquel je ne croyais plus en cette saison de gros hublots noirs. Mais l’opération n’a pas été simple, puisque j’ai voulu utiliser le bon de réduction reçu lors d’un achat antérieur dans une succursale, et qu’à la caisse, le lecteur de codes barres refusait obstinément d’effectuer le rabais. La vendeuse, perplexe, a fini par appeler sa supérieure. Qui n’a rien pu faire non plus, sinon appeler sa propre supérieure. Qui est arrivée avec un petit tailleur marine et une grande ignorance du fonctionnement de la caisse. Il était assez amusant de voir trois échelons de la hiérarchie s’agiter autour de la machine à cause d’un petit bout de papier… Finalement, un bip salvateur a retenti, et tout est rentré dans l’ordre. J’ai pu acheter mes lunettes à moitié prix, avec un étui de protection en prime. Sans doute aurais-je dû signaler que la succursale qui m’avait remis le bon, au demeurant parfaitement valable, était située à Cork, au sud du pays… Certaines frontières restent impénétrables!
D’Irlande en vrac (1): à vélo dans la tourbière
Les cartes sont parfois trompeuses, même lorsqu’elles sont établies avec soin, comme celles du National Survey irlandais. Ainsi, lors de notre circuit en petite reine dans le Connemara, nous avions repéré une alternative au parcours proposé par l’agence de voyages, qui permettait non seulement de traverser le petit pont de pierre filmé dans “L’homme tranquille” (film-culte en Irlande), mais aussi d’éviter un long tronçon de route principale. Il s’agissait d’emprunter un chemin de campagne suivant le tracé d’une ancienne voie de chemin de fer, qui selon la carte rejoignait ladite route au bout de quelques kilomètres. Nous nous sommes donc mis en selle, sous un ciel gris et mouvant. Perdu dans la verdure, le pont était charmant (le chien de la ferme voisine un peu moins, mais heureusement, il était attaché). De l’autre côté, le fameux chemin déroulait ses gravillons, bien droit, bien plat, au bord d’un joli petit lac marécageux. Dans le silence irréel qui baignait le paysage, on aurait presque cru entendre le souffle et les hoquets du train fantôme. Nous avons passé un grand portail, en le refermant soigneusement derrière nous pour que les moutons, agiles comme des chèvres, ne se sauvent pas. Depuis là, le chemin devenait plutôt une piste surélevée (on imaginait sans peine l’ancienne voie ferrée sur son terre-plein), herbue et caillouteuse, mais toujours bien visible et tout-à-fait praticable. Mais un autre portail nous attendait un peu plus loin: plus haut, plus rudimentaire, et impossible à ouvrir: il a fallu le passer en grimpant par-dessus les barbelés et en portant les vélos à bout de bras (tout en évitant de tomber dans l’eau noire de la tourbière qui s’écoulait en contrebas sous une sorte de petit pont). La piste continuait, parfois envahie par de gros buissons d’aubépine auxquels les moutons avaient perdu des lambeaux de laine. Mais force était de constater qu’elle s’estompait peu à peu. Au bout d’un moment, elle a fini par se fondre totalement dans la lande marécageuse… La carte nous avait menti. Découragés à l’idée de faire demi-tour, surtout que la route principale était désormais toute proche, nous avons décidé de persévérer. Nous voilà donc poussant laborieusement nos vélos en zigzaguant entre trous d’eau, sols suspendus, tranchées d’exploitation de la tourbe et touffes de joncs. Avec d’autant plus de prudence que nous avions vu une exposition sur les momies des tourbières au Musée National de Dublin! Nous avons enfin atteint la route, au moment précis où y passait un groupe de cyclistes: c’étaient les Italiens un peu snobs qui faisaient le même circuit que nous, et que nous croisions régulièrement au fil des étapes! L’épisode m’a coûté un accroc à mon meilleur pantalon, une chaussure teinte en brun, une tique dans le genou, des bleus et quelques frayeurs, mais pour rien au monde je n’aurais voulu manquer leurs visages choqués lorsqu’ils nous ont vus émerger de la tourbière, tout crottés, en poussant nos bécanes pleines de boue et de brins d’herbe… Moulés dans leurs tenues jaune poussin, peut-être se demandaient-ils qui d’entre nous avait finalement l’esprit le plus sportif!