Un jeune homme bien mis marche dans le parc, poussant devant lui une de ces imposantes poussettes-tanks qui sont à la mode de nos jours. Comme l’endroit est tranquille en cette heure de midi, on peut entendre sa voix qui résonne entre les arbres en un doux monologue. Très joli, pensé-je, de raconter ainsi des histoires à son bébé durant la promenade! S’agit-il du Petit chaperon rouge? De la Belle au bois dormant? De Blanche Neige? Je me sens tout droit retomber en enfance. Mais quelques instants plus tard, lorsque je croise l’homme en question (qui ne manque pas de me jeter au passage le classique regard “vois-comme-je-remplis-bien-mon-rôle-de-père”), mon attendrissement tourne court… Point de contes, ni même de récits: juste des paroles en l’air, des propos banals, voire vulgaires… Le jeune père était tout simplement au téléphone, en train de parler avec un copain. Du dernier jeu vidéo, et de sa dernière beuverie…
Catégorie : Anecdotes
Timbré…
Passage à la poste du quartier pour acheter un bête carton destiné à l’envoi d’une bouteille de vin. Le buraliste apporte le modèle désiré, puis soudain me propose un catalogue de marchandises diverses, que j’ai le malheur d’accepter. Probablement encouragé par ma réaction, il devient alors intarissable. Il me propose coup sur coup: une vignette autoroutière, un billet de loterie, un abonnement de téléphone portable, ainsi que l’action de la semaine …un fer à repasser! Et je ne parle même pas des bonbons, livres, parapluies, porte-monnaies et autres bizarreries qui encombrent le guichet, pourtant déjà petit. Je n’y tiens plus… En tentant de conserver le ton de la plaisanterie, je lui glisse: “Et envoyer des colis, vous le faites encore?”. Regard surpris, sans la moindre trace d’humour: “Oui bien sûr…” “Encore heureux”, lui dis-je avant de partir, dégoûtée, avec mon carton sous le bras. Même si le phénomène n’est pas nouveau, décidément, je ne m’y fais pas. Non seulement la poste se prend pour un souk, mais le postier se prend pour un démarcheur… Ne me reste qu’à boire la bouteille que je comptais envoyer pour oublier cette triste image.
L’art de faire du thé (à l’anglaise)
Rencontre avec un collègue à la pause autour de la bouilloire qui ronronne. On attend, un peu embarrassés, que l’eau cuise. Sa tasse est prête: un minuscule gobelet en carton, de ceux que d’autres utilisent pour leur espresso, avec à l’intérieur un sachet d’Earl Grey et un monticule de sucre qui atteint gaillardement la mi-hauteur du récipient. Lorsque l’eau bout, je lui propose poliment de le servir. Mais sitôt ai-je commencé de verser qu’il m’arrête avec énergie: “Stop! Stop”. Pourtant, c’est à peine si le gobelet est à moitié plein! “Sinon, je vais devoir mettre deux sachets!” Me revient alors le souvenir de l’Irlande, pays où le thé, surchargé en sachets, était presque imbuvable. Mon collègue aurait-t-il des gènes de là-bas? Sans le savoir, il répond aussitôt à ma question: “Pour un Anglais, c’est impensable autrement! Comme disait mon grand-père, un bon thé, il faut que la cuillère y tienne debout toute seule! Et en plus, on a même pas de vrai lait…” Il s’en va, une crème à café et le précieux breuvage à la main, non sans jeter un regard méprisant sur ma tasse: “Et ça, ce n’est pas du vrai thé!” Une tisane de menthe sans sucre, dans une grande tasse en porcelaine (anglaise, d’ailleurs), bien sûr que ce n’est pas du vrai thé. Rien à voir avec son dé à coudre rempli de bitume sucré… Qui à mon humble avis, n’est pas du vrai thé non plus! C’est pratiquement du café…
Histoire courte
Un jour d’été vers midi, sur le bord du lac Léman…
Lui (très jeune, maghrébin, et apparemment perdu): Bonjour Mademoiselle!
Elle (plutôt flattée vu qu’elle frise la quarantaine): Bonjour Monsieur.
(Silence gêné qui se prolonge)
Elle: Heu… vous vouliez me demander quelque chose?
Lui (gêné): Oui…Est ce que je peux discuter un peu avec vous, ça ne vous dérange pas?
Elle (réalisant ses intentions): Si vous voulez. Mais je vous dis tout de suite (elle montre sa main gauche ornée d’une alliance): je suis mariée.
(Silence glacial. On voit presque tomber des flocons de neige)
Lui (déçu): Ah, bon! Et bien, alors, bonne journée! (Il se tourne pour partir)
Elle (un peu surprise mais soulagée de la rapidité avec laquelle il a renoncé): Merci, à vous aussi.
Lui (se retournant): Et…bon courage avec votre mari!
Rideau.
Tempête sur le lac
Promenade au bord du lac Léman un jour de grand vent. L’eau arbore toutes les nuances de vert, du vert jade au beige-verdâtre, en passant par le bleu-vert profond. Un régal pour les yeux, tout moucheté d’écume, sur fond de montagnes bleu marine qui tombent à pic jusqu’à la rive d’en face. Conséquence de la météo, presqu’aucun des habituels joggeurs n’a osé sortir ses baskets et pour une fois, les quais sont pratiquement déserts. Je savoure le moment, immobile, les yeux noyés dans cette palette de couleurs à la fois apaisante et vivifiante. Lorsque je me résous à quitter l’endroit pour regagner mon bureau, en me retournant, voilà que je marche sur les pieds de quelqu’un! Une jeune dame, appareil à la main, qui voulait apparemment prendre une photo du paysage. Mais qui, malgré l’espace libre presque infini à disposition ce jour-là sur les rives du lac, jugeait qu’il fallait impérativement se placer juste là, pile derrière moi… Malgré une irritation certaine, ma politesse naturelle m’a poussé à m’excuser et à esquisser un sourire. Mais peine perdue. La photographe m’a rendu un regard carrément outré! Du coup, c’est d’humeur assez tempétueuse que je suis retournée travailler…