Fraîchement revenue de notre grand bol d’Eire, la tête encore pleine de trèfles (prononcer “shamrock”), je sors de l’ appartement les bras chargés de linge sale, dans le but d’aller faire la lessive à la buanderie de l’immeuble (après un mois de pérégrinations, ça devenait plutôt urgent). Première chose visible dans l’entrebaîllement de la porte: une crotte, modèle canidé, taille petite à moyenne, d’aspect frais. Le chien de la voisine du dessus se serait-il oublié sur mon palier ? J’ouvre davantage… et tombe sur un jeune renard tout effrayé, qui me regarde avec des yeux comme des soucoupes! Je referme la porte, et annonce calmement à mon mari qu’il y a un renard dans l’escalier. Celui-ci croit d’abord à une blague, bien sûr. Les légendaires Goupils qui gravitent autour de la maison chaque soir s’en tiennent strictement au compost.… d’habitude. Il enfile donc un pantalon par-dessus son pyjama et empoigne le balai. Une fois constatée la véracité de mes propos, il en appelle à la fois à ses talents de biologiste et d’ex-gardien de zoo pour diriger l’animal, plus terrifié que jamais, vers la sortie. A force de patience et d’habiles manipulations, portant parfois littéralement la bête au bout du balai, il parvient à la faire redescendre. Celle-ci file dans le jardin sans demander son reste, non sans avoir laissé un “cadeau” (liquide ou solide) à chaque étage. La concierge, qui a ouvert sa porte et l’a presque vu filer devant elle, lève les bras au ciel. On nettoie, on rigole, et on s’étonne que telle situation ne se soit pas produite plus tôt, puisque la porte d’entrée ouvre pratiquement sur la forêt. Quoiqu’une cage d’escalier d’immeuble n’a en soi rien de très attirant pour un renard, même si y habite un biologiste anciennement spécialisé dans le renard urbain! Notre visiteur s’était probablement égaré en quête de territoire. Heureusement pour tout le monde, l’épisode ne s’est pas répété. Mais il a mis une majuscule sympathique à notre retour à la Pisciculture.
Catégorie : Petits inventaires poétiques
A la brocante
Deux dames déplient et replient avec une coordination parfaite des nappes de dentelle aussi vielles qu’elles. Une petite fille très concentrée lit un livre écorné en suçant son pouce, sans remarquer qu’il manque la moitié des pages. Un tapis détempé sèche sur une échelle pour oublier les averses de la nuit. Une mère fait une démonstration d’haltères à sa fille sceptique (“Mais oui, ce serait bien pour le violon!”). Un enfant joue au foot à travers les stands avec un ballon à demi dégonflé. Un autre refuse de se séparer d’un animal en peluche orange. Deux copines font tant bien que mal des essayages sans cabine: la première des bottes à boucle toutes avachies, la seconde une minijupe en imitation léopard (“En ne mangeant plus que des yogourts nature, ça irait” “Quoi, mes bottes ou ta jupe?”). S. soupèse avec intérêt une ancienne machine à écrire aux touches de bakélite, et repart avec sa petite soeur aussi. On rigole en découvrant les papiers incongrus qui tapissent l’intérieur de certains meubles de style. On étend des tables à rallonge puis on ne sait plus comment les replier. La plupart des chaises, quant à elles, ne sont pas à vendre: elles sont disposées en rangs face à une estrade en attendant la cérémonie du dimanche. Le week-end dernier, Emmaüs fêtait ses 25 ans. L’occasion d’organiser une brocante un peu spéciale, aussi riche en bric-à-brac qu’en scènes cocasses. Bon anniversaire et longue vie!
La complainte des gants perdus
En hiver, ils se ramassent à la pelle. Pour autant que l’on en ait envie, car ils gisent souvent dans la boue, les flaques ou la saleté. Ils jonchent les trottoirs, les murets, le sol des bus, l’asphalte des parkings. Pauvres loques détrempées, gelées, piétinées par les semelles des passants, aplaties sous les pneus des voitures, parfois empalées sur des grilles par une main cruelle, et toujours irrémédiablement, désespérément, solitaires. Ce sont ces gants sans paires que l’on a oubliés, ou qui sont sournoisement tombés d’une poche ou d’un sac. Quel triste sort. Hélas, j’ai apporté ma contribution à l’hécatombe : de petits gants en angora noir, perdus un soir sur la banquette d’un train. Seule consolation : ils étaient propres, et ils étaient deux !