Drôles d’oiseaux

Balade dans les rues de Lau­sanne un mer­cre­di après-midi. Je tombe en arrêt devant la vit­rine d’un célèbre  maro­quinier de luxe, qui met en scène sacs et autres porte-mon­naies de manière orig­i­nale:  affublés de longues pattes en métal, ceux-ci for­ment les corps sans tête d’oiseaux étranges. Amusée,  je prends une pho­to. A ce moment, une petite vieille voûtée,  toute de rose vêtue, s’ap­proche et me demande d’un air inqui­et: “Vous n’allez pas les copi­er, hein?”  Je la ras­sure, lui mon­trant les oiseaux qui ont attiré mon atten­tion, mais elle ne m’é­coute pas. Elle garde les yeux rivés sur la vit­rine. “Vous pou­vez me dire les prix? Je ne peux pas les lire sans mes lunettes”. Docile­ment, j’obtem­père, en grinçant un peu des dents face aux tar­ifs  astronomiques qui sont affichés. Ceux-ci ne sem­blent pour­tant pas  cho­quer la vieille dame, qui se con­tente de hocher la tête en souri­ant, et de repar­tir comme  elle est venue dans ses habits couleur bon­bon.  Je reste per­plexe… Sous ses airs rabougris, il s’agis­sait peut-être d’une comtesse, ou d’une baronne?

Pulls manchots

Petite séance de shop­ping en ville, dans le but fort banal de dégot­er un pull chaud pour cet hiv­er. Ver­dict: les grandes absentes de la con­fec­tion cette sai­son sont…les manch­es ! Sur tous les éta­lages, ce ne sont que gilets, pon­chos, châles, débardeurs ou jacquettes à manch­es cour­tes, trois-quarts dans le meilleur des cas. Et pour le même prix qu’un vête­ment “entier”… J’en avais froid dans le dos. Ne reste donc plus qu’à se met­tre au tri­cot, apparem­ment. Je peux tou­jours essay­er de deman­der à ce jeune homme aperçu l’autre jour dans le train, qui meublait son tra­jet le plus sérieuse­ment de monde, en cli­que­tant des aiguilles…

Celtitude?

La mode print­emps-été n’est pas vrai­ment fab­uleuse (j’ai essuyé des échecs cuisants avec un man­teau vaste comme une tente, des jeans façon leg­gings et une jacquette trop courte de partout). Mais au moins, cette sai­son, on se marre. D’une cer­taine manière. En effet, l’élé­ment déco­ratif omniprésent dans la con­fec­tion sem­ble être le crâne humain, souri­ant de toutes ses dents, comme le veut l’anatomie. Doré, argen­té ou gar­ni de strass, grand ou petit, unique ou en rib­am­belle, le voilà qui s’ex­hibe sans com­plex­es en bijoux, en porte-clés, sur les sacs, les t‑shirts, les blousons, les poches des jeans, sur les chaus­settes, les pan­tou­fles ou la semelle des tongs, et même sur les sous-vête­ments. L’archéo­logue, famil­ière des his­toire d’os, com­mence à s’in­ter­roger. S’ag­it-il d’une subite résur­gence de nos racines, à l’heure où il est de bon ton de revendi­quer ses orig­ines? En effet, nos ancêtres les Celtes étaient de grands coupeurs de têtes. Dans une récente expo­si­tion con­sacrée à leurs croy­ances, on pou­vait voir la recon­sti­tu­tion grandeur nature d’un por­tique gar­ni de nich­es des­tinées à accueil­lir des têtes trophées. Je me sou­viens encore de la réac­tion de cer­tains vis­i­teurs, qui plis­saient le nez en mar­mon­nant: “Quels bar­bares, quand même!” Des vis­i­teurs dont cer­tains adopteront prob­a­ble­ment la mode du crâne sans bronch­er. J’en étais à méditer sur cet amu­sant para­doxe, lorsqu’une amie a cassé ma théorie. Selon elle, les têtes de mort de cette sai­son seraient plus vraisem­blable­ment inspirées du pavil­lon noir des pirates, référence à une récente série de films à suc­cès. Elle en aurait mis… sa tête à couper.

De vraies pantoufles

Avec le retour des beaux jours, les doudounes ont fait place à des tenues plus légères. Les dégaines qui défi­lent dans la rue sem­blent d’ailleurs par­fois un peu étranges, genre mini­ju­pes asso­ciées à des leg­gings en den­telle ‑tiens, ça rap­pelle le look de Madon­na dans les années 80‑, bermu­das coor­don­nés avec un bon­net de laine bien enfon­cé sur les oreilles, gross­es lunettes en forme de hublots, robes à bretelles vaporeuses portées avec des bottes hautes, ou encore jeans étroits assor­tis de bal­ler­ines de danseuse ‑ça aus­si, ça rap­pelle les années 80, sauf en ce qui con­cerne les souliers: à l’époque c’é­tait les bas­kets blanch­es mon­tantes qui dom­i­naient le pavé. D’ailleurs, à pro­pos de chaus­sures, en par­courant le ray­on grolles d’ un mag­a­sin, il m’a frap­pé que de nom­breux mod­èles print­emps-été ressem­blaient tout bon­nement à des pan­tou­fles: mules en tous gen­res, savates à enfil­er, birken­stocks à pail­lettes, bal­ler­ines ultra­plates et mul­ti­col­ores décorées d’un petit noeud, etc. Soudain (que la mémoire peut être mesquine, stock­ant en douce ces petits riens qui nous ont blessé des années aupar­a­vant), je me suis sou­v­enue d’une paire de chaus­sures qui fai­saient ma fierté à l’é­cole pri­maire: des bal­ler­ines en daim brun clair, avec une semelle en caoutchouc et une bor­dure noire. Très habil­lées et plutôt classe par rap­port aux mod­èles de cette sai­son. Et pour­tant, Dieu sait si l’on m’avait taquinée là- dessus. J’en­tends encore des voix moqueuses s’él­e­vant dans la cour de récré: “Alors, t’as mis tes pan­tou­fles aujour­d’hui?” La mode est décidé­ment bien ver­sa­tile, bien injuste. Et avec mes mocassins à bout car­ré, on dirait que je me suis de nou­veau lais­sé dépasser.

Parfums de vieilles dames

Dans la jun­gle sou­vent trop capi­teuse des par­fums féminins actuels, il arrive qu’un effluve atyp­ique sur­gisse soudain au hasard d’un sil­lage. Quelque chose de fleuri, de poivré, de poudré, de musqué, cela dépend, mais d’un équili­bre et d’une élé­gance frap­pante. Quelque chose qui vous fait remar­quer sa pro­prié­taire: sur­prise, il s’ag­it tou­jours de femmes assez âgées! “C’est qu’ elles ont eu tout le temps de bien choisir leur par­fum”, me dis­ait une amie à qui j’avais fait part de cette obser­va­tion. Peut-être. A moins qu’il n’y ait aus­si un peu de magie là-dessous. L’autre jour, une voiture sor­tant d’un park­ing, con­duite par une vieille dame chic, a lais­sé sur son pas­sage une odeur…de roses!