Une pensée émue pour le tilleul des Grand’Places, tombé sous la tronçonneuse au nom d’un pharaonique projet de construction souterraine. Ce géant feuillu, qui était un véritable naufragé sur son îlot en plein carrefour, cerné de toutes parts par le béton et le goudron, offrait une oasis bienvenue au milieu du trafic. Au printemps, un merle y faisait même son nid et son chant, au milieu de la cacophonie urbaine, faisait du bien à entendre. “De toute façon, cet arbre était malade
Catégorie : Général
Le monstre dans la bibliothèque
Dans la bibliothèque, là-haut sous le toit, il y a un monstre. Immobile, ses pieds noueux serrés dans un pot de terre cuite ridiculement petit, il fixe la rue par la fenêtre, ses bras longs et épais comme des cordages enroulés autour d’une poutre, ses mains ovales tendues vers la lumière. Il impressionne, mais ne ferait pas de mal à une mouche! C’est une plante, nommée Diffenbachia, et une de ses cousines trône sur mon bureau. Beaucoup plus petite, cette cousine-là, mais en dépit de son pot trop étroit, de son manque de lumière, de son arrosage irrégulier, elle semble avoir des ambitions similaires! Elle n’en finit pas de grandir et de fabriquer de nouvelles feuilles, larges comme des raquettes. Le futur monstre du local C 17?
L’affiche de la discorde
Que va-t-elle faire, cette vieille dame corpulente dont la robe trop étroite la change en accordéon à fleurs? Elle a ramassé l’affiche d’un spectacle qu’une main un peu sauvage avait collée sur un distributeur de boissons, et que la main rageuse d’un commerçant voisin venait d’arracher et de flanquer dans la poubelle (alors qu’elle ne déflorait même pas sa vitrine, située à l’opposé). Elle l’a prise, l’a examinée, puis l’a pliée soigneusement et s’est dirigée vers la boutique du commerçant irascible. Allait-elle la lui ramener? Ou mieux, la coller carrément sur sa vitrine? Mais non, elle a grimpé l’escalier de l’immeuble et disparu à l’intérieur. Que va-t-elle en faire, de cette affiche? La placarder dans le hall, peut-être. Histoire d’irriter le concierge.
La voie lactée
Cet après-midi, j’ai touché la Voie lactée. Non pas la vraie, qui traverse notre ciel nocturne, mais celle fabriquée par une artiste suisse du nom d’Isabelle Krieg. Comme son nom l’indique (au second degré), il s’agit de seins. Des seins de femme géants, tout blancs, moulés dans une sorte de mousse à la fois souple et ferme. Rassemblés en grappes, ils forment ainsi des espèces de nuages que l’on peut tâter et sur lesquels l’on peut même s’asseoir! En lisant un article à ce sujet dans le journal, je trouvais l’idée sympathique. Mais en découvrant de visu ces masses blanches hérissées de tétons agressifs dans le jardin du Musée d’Art et d’Histoire, déception: au lieu de cumuli confortables et rassurants, cela m’évoquait plutôt une invasion de chenilles géantes, pleines de protubérances et de piquants…
Au marché sous la pluie
Mercredi matin tôt sur la place Python. Des cordes épaisses tombent du ciel, le jour est gris souris. Les maraîchers installent leurs stands en s’encourageant mutuellement. Emmitouflés comme en hiver, ils s’abritent sous leurs bâches et passent le temps en buvant de grandes tasses de thé ou de café qui fument dans l’air chargé d’humidité. Il y a peu de visiteurs. Et pourtant, l’atmosphère est tout-à-fait spéciale. La pénombre fait ressortir les formes et les couleurs des fruits et des légumes: le rouge foncé des radis, le vif orange des carottes, le vert des salades, encore plus appétissantes ourlées d’eau, et même le beige des oeufs à l’ovale parfait qui, rangés sur des plateaux carrés, semblent phosphorescents. Mais le plus beau, c’est l’étalage du fleuriste, qui a simplement disposé ses marchandises sur le sol. Pétunias, tagètes, géraniums, impatiences: douchés par la pluie, ils forment comme un grand tapis oriental dont les vifs coloris trouent la grisaille et sautent littéralement au visage. Du coup, j’ai acheté quelques pots: histoire d’emporter un peu de lumière avec moi.