Elle a passé comme un rêve, quelques instants dans le trafic de midi, cette camionnette blanche un peu vieillotte. Depuis la fenêtre du bus, j’ai pu glisser un oeil dans son coffre: il était rempli de gros bouquets de pivoines mêlées de fleurs vert pâle, et de ballons roses bonbon attachés par des rubans de satin. Un mariage champêtre? Un anniversaire poétique mais stylé? En tout cas la conductrice, dont on n’apercevait que les mains, n’avait rien laissé au hasard: son sac, sur le siège, se décorait d’un tissu imprimé de fleurs roses et vertes parfaitement assorti à la cargaison! Une fée, peut-être?
Catégorie : Général
“Hop Schwitz”
Bon, c’est bientôt le Mondial. Difficile d’y échapper: les revues éditent des suppléments, les magasins d’électronique font des offres sur les TV à écran plat, des boutiques entières sont réservées aux gadgets (de la mascotte en peluche géante à la garniture de lit, en passant par les klaxons, les casquettes, les maillots, etc…), le boulanger du coin vend une miche de pain spéciale, le supermarché un steack tout rond, et les médias nous en rebattent les oreilles, allant jusqu’à dispenser aux futurs téléspectateurs des conseils-santé pour éviter les malaises cardiaques dûs à trop d’émotion (goaaaal!). Dangereux, le sport en chambre. Sans parler de la prise de poids consécutive aux quantités de chips et de bière ingurgités devant le poste! D’ailleurs, même la revue culinaire à laquelle je suis abonnée s’y est mise: ce mois-ci, elle propose des plats à grignoter devant la télé et une tourte décorée d’un petit terrain de foot en massepain vert. Mais le plus fort, c’est quand même le propriétaire de cet immeuble à Neuchâtel, qui a installé à tous les balcons de nouveaux stores, rouge vif, décorés d’un ballon de football et inscrits de la devise: “Hop Schwitz”.
Zürich au printemps
Dans la Bahnofstrasse, les vitrines des grands couturiers présentent des chiffons informes; la haute couture ne fait décidément plus rêver. C’est aussi ce que doit penser ce vieux mannequin en bois au coeur du marché aux puces, exposé entre un vélo rouillé et un fauteuil Voltaire. La foule se presse à la terrasse de chez Sprüngli pour déguster de minuscules tranches de gâteau hors de prix. Traversée symbolique de la Paradeplatz, mythe du Monopoly. Une façade de la vieille ville s’orne de parapluies dorés et d’un chameau. Dommage que les vitraux de Chagall soient inaccessibles pour cause de travaux (un panneau l’explique même en japonais). Dans le jardin botanique tapissé d’ail des ours, un geai s’envole à quelques pas de nous; des gens lisent sur des chaises de bois à l’ombre des bambous et des orangers en fruits. Puis nous longeons un canal où un parcours d’exercices asiatiques, photos kitsch à l’appui, propose de remettre d’aplomb les businessmen stressés. Lorsque le soir tombe, le lac prend des teintes d’aquarelle. Les arbres sous lesquels nous passons ont des frondaisons immenses comme des tentes de cirque, et l’eau qui baigne les bateaux dans le port de plaisance est toute poisseuse de pollen jaune. Le long des rives, une fontaine en forme de grosse boule rose déborde tranquillement. C’est le moment de rentrer. Dans le hall de la gare, la Nana de Niki de Saint Phalle nous fait un dernier signe de la main.
Les chats de la cathédrale
Juste en face de la cathédrale de Fribourg, une petite galerie d’art hébergeait il y a peu la faune en céramique poétique de Shoshana Kneubühl. Ce sont les chats qui m’ont plu le plus: avec leurs visages joufflus, leurs formes arrondies, leur pelage aux couleurs oniriques, ils semblaient tout droit sortis d’un conte. En vitrine, un matou était d’ailleurs plongé dans un livre, et au sous-sol, le chat botté restait suspendu au milieu d’une large enjambée. J’aurais bien voulu en adopter un, mais hélas ma bourse ne voulait rien savoir. D’autres visiteurs plus argentés s’étaient déjà servis, laissant dans les rangs félins des trous ornés d’un point rouge. L’un d’eux devait être un farceur, puisqu’à la place de la statuette, à côté de l’étiquette numérotée, il avait posé…un cendrier. Juste au-dessus, dans une niche creusée dans le mur médiéval blanchi à la chaux, un gros chat vieux rose riait de toutes ses dents. Apparemment, lui aussi trouvait ça drôle.
L’écureuil insomniaque
Ces derniers jours, malgré la neige et le froid qui persistent, il y avait dans l’air un je-ne-sais quoi de printanier. Une soudaine bouffée de vent tiède qui ranime les odeurs de la terre et de la forêt, les oiseaux qui recommencent à chanter, et ce matin, un écureuil roux très actif. Un peu désorienté, mal réveillé peut-être, il tournait en rond sur le trottoir, nez au sol comme s’il cherchait quelque chose. Il était si affairé qu’il n’a remarqué ma présence que lorsque je me suis trouvée à moins d’un mètre de lui. Hésitant alors entre grimper sur un arbre proche et traverser la rue, il s’est jeté en droite ligne sur le Boulevard de Pérolles! Par bonheur, il y avait justement une pause dans le trafic du samedi matin. La petite boule de poils au grand panache rouge a atteint sans encombre l’autre côté et s’est enfoncée dans un fourré. Ouf! Car rien n’est plus triste que ces écureuils imprudents qui gisent trop souvent écrasés au bord de la route.