Les sportifs de midi
Balade durant la pause de midi sur les rives du lac Léman à Vidy. Depuis le retour des beaux jours, c’est la ruée: tout le monde vient y faire son petit exercice, et par la même occasion, s’y montrer. Seul ou en groupe, on court (plus ou moins vite), on roule à vélo, on vogue en trottinette, on marche à la nordique, on glisse en patins à roulettes (pardon, en “in-line”, les bons vieux modèles à roues parallèles étant depuis longtemps démodés). C’est donc un véritable défilé de cuissettes, de collants fluo, de culottes de training, qui revêtent des postérieurs et des mollets plus ou moins noueux. On sue, on se bouscule presque, le visage crispé, les dents serrées. Les plus assidus râlent et gémissent sous l’effort… Une des seules personnes à déambuler au pas et en vêtements de ville, je me sens un peu incongrue au milieu de cette faune tout en spandex. Une fois, un adepte du jogging s’est carrément planté devant moi et m’a demandé tout de go: “Et votre tenue de sport, elle est où? ” Incroyable… Mais l’autre jour, j’ai croisé deux promeneurs encore plus insolites que moi: un maître et son chien. Le maître, un gigantesque armailli vêtu de grosse toile et de velours côtelé, la barbe longue et drue, chaîne au gilet et pipe à la bouche, avançant à grandes enjambées. Le chien, une sorte d’Appenzellois qui tricotait des pattes, l’oeil brillant, tenant dans sa gueule une balle de tennis. Cette image quasi surréaliste, et surtout le halo de simplicité et de bonne humeur qui se dégageait du couple, avait quelque chose de rassurant, de chaleureux. Elle m’a remis le moral au beau fixe pour tout l’après-midi. J’espère qu’ils ont fait une agréable partie de balle. Un type de sport moins voyant, mais tout aussi efficace et probablement plus joyeux!
Arthur
Il était assis sur un muret au bord de la route, abandonné, les bras tendus vers le flot de voitures et les quelques piétons qui passaient dans l’indifférence. Lui, c’était un ours en peluche, et ce spectacle navrant, aperçu un matin depuis la fenêtre du bus, m’a serré le coeur. Ma première pensée fut pour l’enfant qui l’avait oublié là, et qui devait être bien triste. Il reviendra le chercher, pensai-je. Mais le soir, l’ours était encore là. Et le lendemain, de même. L’enfant en question n’était pas bien pressé de le récupérer, finalement. L’image de ce pauvre naufragé commença à me hanter, au point que je décidai de le recueillir. Oui, j’ai un faible pour les peluches, et surtout pour les ours… Le jour suivant, je commençais un nouveau travail, dans une autre ville. Je dus donc patienter. Toute la journée, je pensai à lui, espérant avec ferveur qu ‘entretemps, la voirie ne l’aurait pas emporté pour le mettre au rebut. C’est donc assez fébrile qu’en fin d’après-midi je pris le train (train qui par-dessus le marché était en retard), et me précipitai vers le muret sur lequel je l’avais vu… Il y était encore! J’aime à croire qu’il m’avait attendue. Sous le regard perplexe des automobilistes, je le soulevai délicatement pour l’examiner. Surprise: ce n’était pas un jouet ordinaire, mais un ours ancien, rempli de paille, avec un nez en verre, une petite langue de feutre et des pattes doublées de cuir. Il sentait un peu le moisi après son séjour dehors, mais semblait autrement en bon état. Le coup de foudre fut immédiat. En retournant vers la gare, mon butin dans un sac en plastique un peu trop transparent, je craignais à tout moment que quelqu’un me rattrape et me le prenne, prétextant que cet ours était le sien… Mais rien ne se passa, et le nouveau pensionnaire, baptisé désormais Arthur, parvint sans encombres à sa nouvelle demeure. Après un nettoyage au bicarbonate et de longues séances de séchage au soleil, il a pris place sur le canapé du salon à côté d’Oscar, un ours en peluche plus moderne. Les deux larrons semblent bien s’entendre malgré leur différence d’âge, et je donnerais cher pour entendre leur conversation. Car l’histoire d’Arthur, qui l’a mené sur ce muret au bord d’une route, reste pour moi un mystère!
Drôles d’oiseaux
Balade dans les rues de Lausanne un mercredi après-midi. Je tombe en arrêt devant la vitrine d’un célèbre maroquinier de luxe, qui met en scène sacs et autres porte-monnaies de manière originale: affublés de longues pattes en métal, ceux-ci forment les corps sans tête d’oiseaux étranges. Amusée, je prends une photo. A ce moment, une petite vieille voûtée, toute de rose vêtue, s’approche et me demande d’un air inquiet: “Vous n’allez pas les copier, hein?” Je la rassure, lui montrant les oiseaux qui ont attiré mon attention, mais elle ne m’écoute pas. Elle garde les yeux rivés sur la vitrine. “Vous pouvez me dire les prix? Je ne peux pas les lire sans mes lunettes”. Docilement, j’obtempère, en grinçant un peu des dents face aux tarifs astronomiques qui sont affichés. Ceux-ci ne semblent pourtant pas choquer la vieille dame, qui se contente de hocher la tête en souriant, et de repartir comme elle est venue dans ses habits couleur bonbon. Je reste perplexe… Sous ses airs rabougris, il s’agissait peut-être d’une comtesse, ou d’une baronne?
Les boueux
L’autre jour, sur un quai de la gare de Genève, une troupe de jeunes gens court pour attraper le train. En vieux t‑shirts et sacs à dos, avec des jeans et des bottes de caoutchouc largement maculés de boue. Probablement des étudiants en archéologie qui font leurs fouilles de l’été, ai-je pensé spontanément (les habitudes sont tenaces, une certaine nostalgie aussi, en fin de compte). Puis la lumière s’est faite dans mon esprit: c’était le train pour Nyon, et dans le journal comme dans les conversations de mes collègues ce jour-là, on avait abondamment cité la gadoue sévissant au Paléo. Point d’archéologues donc, mais des festivaliers, en route vers une soirée humide. Certains venaient d’ailleurs aussi de Fribourg: le lendemain matin, le sol de la gare était constellé de traînées boueuses, vestiges de retours tardifs…