Un matin à Genève dans un bus rempli d’une foule dense et hétéroclite, mais à majorité cravatée. C’est la ligne des organisations internationales, ce qui n’empêche pas le véhicule d’être à la fois vétuste et très en retard. Un cravaté proche, apparemment à destination de l’ONU, demande à son collègue: “Are you sure it’s the right bus? Aren’t we going to some suburb and be lost forever?” C’était bien le bon bus. Même si à l’instant, le bus qui nous croisait en sens inverse arborait sur son front:“N°11. Bout du monde”.
Ma gomme mie de pain
Voilà, il m’a fallu changer ma gomme mie de pain. A force de fonctionner, elle avait fini par devenir toute noire, et par faire de vilaines traînées sur le papier au lieu de faire son boulot… Je me souviens la première fois que j’en avais vu une. C’était dans une autre vie, dans une autre ville, pendant un cours de dessin avec modèle vivant dans une académie un peu snob. Une participante m’avait demandé si j’avais vu sa gomme. J’avais ratissé tout l’atelier, sans succès. Jusqu’à ce qu’elle avise une petite boule grise posée sur le rebord d’un chevalet, boule que j’avais prise pour de la pâte à modeler! En réalité, c’était une gomme mie de pain. Très pratique, car malléable dans la forme que l’on veut, et ne produisant aucune rognure. Une vraie révélation. Je m’étais hâtée d’en acheter une, et depuis, je n’ai pas arrêté d’en utiliser pour effacer crayon, fusain et pastel. Passé dix ans que je l’avais, celle-ci; à raison d’un coût total de 2 francs 50, c’était vraiment un bon investissement!
En slip!
De passage parmi les immeubles du quartier d’Alt. Du coin de l’oeil, j’aperçois une silhouette qui se faufile sur un balcon, puis retourne à l’intérieur. La porte-fenêtre en se refermant jette un bref éclat de soleil. Rien d’étonnant en soi. Mais les deux femmes qui me suivent ont mieux vu. Elles sont même scandalisées. “T’as vu ça? En slip, qu’elle était, la nana! Non, mais tu te rends compte? En slip!…” Et ainsi de suite, au point que je presse un peu le pas pour échapper à cette venimeuse logorrhée. En slip… Bon. Non seulement la dame en question était chez elle, mais elle s’était contentée de sortir brièvement sans s’exhiber outre mesure. Pas de quoi en faire un fromage. D’ailleurs, en y pensant, ce n’est pas que la mode de ce printemps soit beaucoup plus habillée. Quelques minutes à peine avant cet épisode, un groupe de jeunes filles marchaient devant moi. Non contentes de confondre les collants pas même opaques avec les pantalons, elles poussaient le détail jusqu’à porter un string pour éviter les marques! Autant dire qu’elles se baladaient dans la rue les fesses à l’air. Et cela, apparemment, ça ne dérange personne.
Le regard du chat
En descendant vers la Basse ville, deux grandes fenêtres rectangulaires qui ressemblent à des vitrines. Derrière l’une, une belle orchidée en fleurs. Derrière l’autre, un chat tigré. Immobile comme une porcelaine (je l’ai d’abord pris pour un bibelot!), il garde les yeux fixés sur un point précis, quelque part vers les hauteurs. Plusieurs passants s’arrêtent pour admirer l’animal, et suivent son regard pour voir ce qui retient ainsi son attention. Intriguée, je tente moi aussi l’expérience… Rien. Les yeux tombent très exactement au-dessus des toits dans le ciel matinal, gris et nu! Tout le monde repart perplexe. Le chat continue de fixer le vide d’un air concentré. Je suis sûre qu’il fait exprès, et qu’intérieurement, il se marre…
Câlins gratuits
En début de soirée dans le hall de la gare de Lausanne, un jeune homme faisait les cent pas d’un air décidé. Il tenait à la main une pancarte indiquant: “Câlins gratuits/free hugs”. Du reste, l’allure barbue et un peu replète du personnage évoquait vaguement un gros ours en peluche. Une idée somme toute assez mignonne, en cette période de Saint Valentin. Malheureusement pour lui, les clients ne se pressaient pas au portillon… Tel un anti-aimant, il semblait même générer autour de lui un spectaculaire espace vide! On aurait dit que les gens, gênés ou vaguement effrayés par cet étrange manège, se tenaient tous à bonne distance, serrés vers les bords de la salle! Tandis que j’observais la scène d’un oeil amusé mais aussi un peu attristé, j’avais oublié la règle n°1: ne jamais s’attarder dans le hall de la gare de Lausanne. Il a suffi de quelques secondes pour qu’un drogué m’aborde et me demande de l’argent…