Genève, Place du Bourg de Four. Un petit groupe de musiciens de rue joue un jazz entraînant. Bien que ce soit l’heure du dîner, de nombreux passants s’arrêtent un moment pour les écouter. Et chose assez inhabituelle, il y en a même qui dansent. En m’approchant, je constate que ce sont des handicapés mentaux. Ils se déhanchent, sautillent, moulinent des bras avec enthousiasme au rythme de la musique. Quel contraste avec le reste du public qui reste immobile, rigide, comme enraciné au bitume! C’est à peine si certains osent un discret dodelinement de tête. Des gens dits normaux. A voir les premiers, que l’on qualifie volontiers d’anormaux, à voir leur énergie, leur corps libérés et leurs visages rayonnants, franchement, on se demande qui sont les plus à plaindre!
A la brocante
Deux dames déplient et replient avec une coordination parfaite des nappes de dentelle aussi vielles qu’elles. Une petite fille très concentrée lit un livre écorné en suçant son pouce, sans remarquer qu’il manque la moitié des pages. Un tapis détempé sèche sur une échelle pour oublier les averses de la nuit. Une mère fait une démonstration d’haltères à sa fille sceptique (“Mais oui, ce serait bien pour le violon!”). Un enfant joue au foot à travers les stands avec un ballon à demi dégonflé. Un autre refuse de se séparer d’un animal en peluche orange. Deux copines font tant bien que mal des essayages sans cabine: la première des bottes à boucle toutes avachies, la seconde une minijupe en imitation léopard (“En ne mangeant plus que des yogourts nature, ça irait” “Quoi, mes bottes ou ta jupe?”). S. soupèse avec intérêt une ancienne machine à écrire aux touches de bakélite, et repart avec sa petite soeur aussi. On rigole en découvrant les papiers incongrus qui tapissent l’intérieur de certains meubles de style. On étend des tables à rallonge puis on ne sait plus comment les replier. La plupart des chaises, quant à elles, ne sont pas à vendre: elles sont disposées en rangs face à une estrade en attendant la cérémonie du dimanche. Le week-end dernier, Emmaüs fêtait ses 25 ans. L’occasion d’organiser une brocante un peu spéciale, aussi riche en bric-à-brac qu’en scènes cocasses. Bon anniversaire et longue vie!
Gags d’avant
En triant les paperasses qui encombraient mon bureau, voilà que je retombe sur des archives oubliées: des essais de maquettes que j’avais réalisés il y a presque 10 ans pour la couverture de “Spectrum”, le journal des étudiant(e)s de l’Uni de Fribourg! Les outils: ciseaux, colle et photocopieuse (mon ordinateur de l’époque ne savait même pas ce qu’était une image), et surtout une fantaisie débridée quant aux titres des articles factices annoncés en couverture. Exemples: “Des lutins à l’uni? Le concierge témoigne”. “Nous avons testé pour vous: le téléphone gonflable”. “Clair de lune à Brot-Dessous: notre nouveau feuilleton”. “Héraklès n’était pas dopé”, affirme Zeus: notre enquête sur l’Olympe”. “Comment faire le portrait d’une molécule: poèmes de chimistes”. “Sondage exclusif: les professeurs et leurs chaussettes”. Bon, d’accord, elles ne sont pas forcément excellentes, mais au moins, je m’étais bien amusée! Et j’ai bien ri en me relisant. Avec un petit brin de nostalgie quand même.
Elle est belle, mon uni
C’est bien réel: désormais, les universités se prennent pour des entreprises commerciales et recrutent leurs futurs étudiants, pardon, clients, à grand renfort de publicité et de marketing. Même l’argument “people”, omniprésent dans les médias, est devenu déterminant: ainsi, l’uni de Fribourg vante le fait que Miss et Mister Suisse proviennent tous deux de ses bancs. Des bancs censés être un lieu de science et de recherche, pas une vitrine pour les vedettes. Les professeurs qui ont eu l’audace de le rappeler passent tout bonnement pour de vieux rétrogrades. Il faut “vivre avec son temps”, paraît-il. Autrement dit, consacrer la supériorité du nombril sur le cerveau, et ce même à l’université! Pendant qu’on y est, on pourrait abolir les examens et décerner les diplômes sur un concours de beauté. Mais trêve d’ironie facile. Plus concrètement, je m’interroge sur l’efficacité réelle d’un tel argument publicitaire. En “jouant la carte de la beauté (sic)” quels “clients” supplémentaires attirera-t-on à l’alma mater? Des coeurs célibataires essentiellement désireux de fricotter avec un beau mec ou une belle plante à l’image des Miss/Mister en question? Si ma mémoire est bonne, de tels personnages hantaient déjà les cours et les bibliothèques il y a dix ans. Et il n’y avait pas besoin de marketing pour cela.
Feu!
Dans la série “les choses qu’on devrait faire mais qu’on ne fait jamais”, il y a par exemple la lecture préventive du mode d’emploi de l’extincteur. J’ai donc consacré quelques minutes à examiner l’instrument accroché au mur de mon bureau et à déchiffrer les petits caractères imprimés sur sa panse rouge. Surprise. En réalité, ce n’était pas un extincteur mais une arme: non seulement la poignée à gâchette imitait parfaitement la crosse d’un pistolet, mais l’espèce de tube conique chargé de cracher la substance active s’appelait…le tromblon. Raison de plus pour espérer ne pas devoir s’en servir. Face aux flammes, il semble en effet plutôt contre-indiqué de crier: “En joue, feu!”