Samedi matin dans un supermarché de la ville. Le chariot est plein, ne reste plus qu’à passer au département cosmétiques. Tandis que je parcours les rayons, à la recherche de kleenex et autres dentifrices, une voix s’élève depuis les étalages voisins. Un homme, apparemment au téléphone, puisqu’il parle tout seul. “Comment tu as dit que ça s’appelait? Avec une étiquette rose?” Silence. “Je vois que des étiquettes vertes ou violettes… Non, pas de roses! Attends, en voilà une… Antiâge superlift? Ce n’est pas ça?” Resilence. “C’est compliqué, il y en 36 sortes!” Nouveau silence, qu’on sent un peu tendu. “Bon, écoute, je trouve pas. La prochaine fois, tu viendras toi-même… Oui, parfaitement, tu viendras toi-même!” La conversation s’arrête net. Etirant le cou, je coule un oeil discret sur l’orateur. Et je vois deux jeunes hommes, avachis sur leur chariot (rempli de chips et de pizzas congelées, mais ceci est une autre histoire), l’air éxcédé. Leur impuissance face aux produits cosmétiques me laisse songeuse. En effet, ils arborent une peau rigoureusement lisse et bronzée, une crête gominée qui ferait rougir tous les coqs de la campagne fribourgeoise, et même, dirait-on, un peu de crayon noir sous les yeux…
Catégorie : Anecdotes
Les fantômes d’Halloween
Tard le soir en Basse Ville. Dans un angle sombre du trottoir, deux jeunes garçons s’emploient à imiter Michael Jackson dans « Thriller », chapeau à l’appui et lecteur de CD portable à pleins tubes. Drôle d’endroit et drôle de moment pour répéter un numéro, ai-je pensé. Sans parler du fait que les garçons en question étaient bien trop petits pour rester dehors à ces heures. La chanson arrive à son terme, l’un des enfants s’effondre consciencieusement sur le bitume. Arrive un troisième larron, costumé en…squelette, dont les os luisent dans l’obscurité. L’effet est assez surprenant. Il apostrophe une passante, d’une petite voix qui contraste de manière comique avec son déguisement effrayant. C’est à ce moment-là que je réalise : nous sommes le soir d’ Halloween ! Dans le quartier, plusieurs citrouilles évidées ricanent et des bougies tremblottent sur les rebords des fenêtres pour éloigner fantômes et mauvais esprits de sortie cette nuit-là. D’ailleurs, dans le bus, les gens arboraient un peu des têtes de déterrés (les néons ne sont décidément pas flatteurs)… Le seul fantôme que j’ai finalement côtoyé était notre ami le renard, habitué du jardin, qui n’a pas cessé de glapir tout près de la maison. Peut-être parce que nous lui avions laissé les restes d’une…tête de moine. Bouh!
(NB : tête de moine: fromage suisse fabriqué dans le Jura bernois)
La machine à muscler les bras
Pour mon retour sur la toile après tous ces mois d’absence, il fallait une histoire un peu musclée. La voilà… Une fois n’est pas coutume, j’ai cédé aux sirènes de la publicité, qui vantait un appareil de gymnastique censé remuscler cuisses, fesses, ventre et bas du dos. Un bon résumé de mes “zones à problèmes”, dirons-nous… Bon. Il n’était pas très cher, semblait simple d’utilisation et peu encombrant. Après quelques moments de réflexion, je l’ai donc commandé. Manque de pot, comme j’étais absente le jour de la livraison, j’ai dû aller le chercher moi-même à la poste. Au guichet, l’employé me présente un énorme carton tout défoncé. “Vous êtes en voiture?”, me susurre-t-il avec mesquinerie. Ben non… Toujours pas de voiture, toujours pas de permis. Et la poste qui est à une bonne trotte de chez moi, hors des lignes de bus… J’empoigne donc à deux mains le paquet et mon courage, et prends tant bien que mal le chemin de la maison. L’horreur. Au début, le carton semblait plus encombrant que lourd, mais à la longue, étant donné qu’il n’avait aucune poignée, ficelle ou autre prise permettant de le porter correctement, l’exercice devenait de plus en plus pénible. Je suais à grosses gouttes sous le soleil de fin d’été. Et me sentais un peu honteuse dans la rue avec cette boîte dont l’emballage, illustré d’une pin-up athlétique et de slogans en couleurs fluo, trahissait si clairement le contenu. Il me semblait que tout le monde me regardait de haut en bas… Cahin-caha, je suis finalement arrivée chez moi. Epuisée, déshydratée, les bras douloureux et les mains insensibles. Le carton est resté dans un coin jusqu’à ce que je trouve le courage de m’y attaquer. Quelques jours plus tard, j’ai tout déballé et tenté d’assembler les pièces en suivant le mode d’emploi. Non seulement la bête s’avérait plus massive que prévu, mais il manquait toutes les vis! J’ai alors piqué une colère, tout remballé, en maudissant mon comportement de gamine complexée, et ramené le paquet à la poste…en m’aidant cette fois d’un diable et d’un sac IKEA. A défaut de m’avoir musclé le bas du corps, la machine m’aura au moins un peu musclé les bras le jour de son retrait!
Objets perdus
Désormais, même les bureaux des objets trouvés sont touchés par la technologie. Finie l’époque où, ayant égaré son parapluie dans le bus ou le train, on s’adressait à un guichet spécial dont l’employé parcourait des étagères chargées de trucs hétéroclites pour le retrouver. Mon mari en a fait l’expérience à la gare de Berne, après avoir perdu sa casquette en galopant pour attraper un intercity. Première chose: localiser le bureau concerné, qui se cachait en fait au premier étage, dans le bureau des bagages. Soit. La pièce était presque totalement vide, mis à part un guichet ouvert où se tenait une vigoureuse et antipathique matrone suisse-allemande. S.lui a donc exposé sa requête, en allemand, ce qui a semblé la dérider un peu. Je m’attendais alors à la voir disparaître dans un local attenant, ou du moins passer un coup de téléphone. Mais non: elle nous a simplement tendu un formulaire portant l’adresse d’un site internet. Il fallait s’y inscrire, décrire l’objet et les circonstances de sa perte, et attendre une réponse par email. Au revoir, merci (ou plutôt “ade, merci” en dialecte local). Un peu surpris par le procédé, S. s’y est attelé le soir même, en se demandant comment faisaient les gens sans accès internet, genre les personnes âgées… Un premier mail est arrivé 4 jours plus tard: pas trace de la casquette. Sur le moment, ce système un peu désincarné m’a donné l’impression que le couvre-chef flottait quelque part dans le brouillard, hors d’atteinte… C’était un peu vrai. Six jours après tombait un second mail, définitif: l’objet n’a toujours pas été retrouvé, opérations terminées. Reste un brin de nostalgie. Pour une casquette en tweed ramenée d’Irlande, mais aussi pour les bureaux d’objets trouvés à l’ancienne, qui avaient plus de charme, et plus d’humanité.
Papa, dis bonjour!
La tendance me frappe depuis quelques années déjà: lorsque les gens (célèbres ou non) sont interrogés sur eux-mêmes dans les médias, presque tous affirment vouloir “aller vers les autres”, “rencontrer l’autre”, “s’ouvrir aux autres”, etc. Et pourtant, lorsqu’on regarde autour de soi, la société semble s’appliquer à prendre le chemin inverse. Désormais, à l’heure de la politesse plus que minimale, on se fait pratiquement regarder de travers si l’on salue un inconnu ou si l’on s’excuse de l’avoir bousculé… Heureusement, il y a des exceptions. Parfois inattendues, comme ce dernier matin dans le train Neuchâtel-Fribourg. A peine étais-je montée à bord, tirant la porte du wagon derrière moi, qu une petite voix s’élève: “Bonjour!” Je me retourne, et vois un garçon haut comme trois pommes qui me sourit de toutes ses dents. “Salut!”, lui réponds-je, plutôt charmée, avant d’aller m’asseoir un peu plus loin. La petite voix continue. “Papa, pouquoi tu n’as pas dit bonjour à la dame?” Silence, puis une voix d’homme bourrue: ” Ben, elle ne m’a pas dit bonjour”. Le garçon insiste: “Mais moi j’ai dit bonjour, et elle m’a répondu. Allez, papa, vas‑y, essaie!”. J’aurais bien voulu connaître la fin de la conversation. Malheureusement, elle a été noyée par le rap tonitruant qui s’est élevé d’un compartiment voisin. Histoire de rencontrer les autres en faisant partager ses goûts musicaux, probablement…