Un gros camion échoué sur le trottoir de la Route de la Pisciculture. En panne. “Bien fait”, ai-je pensé avec une satisfaction mesquine: il y a trop de ces monstres qui montent et descendent la rue en grondant dès l’aurore, souvent à tombeau ouvert, au mépris des humains et des chats (pauvre Robinson). Deux hommes s’affairaient autour de la bête au capot ouvert, le chauffeur et un dépanneur. En choeur, très concentrés, ils trituraient des tuyaux, actionnaient des clapets, tiraillaient des fils, se mettaient à quatre pattes pour examiner le châssis et les roues. Et pendant ce temps, le camion exhalait des soupirs et des jets de vapeur peu rassurants. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher d’admirer leur savoir-faire: l’anatomie d’une machine de ce genre n’est pour moi, pauvre piétonne, qu’un mystérieux charabia! Et pourtant… En arrivant à leur hauteur, contournant prudemment l’épave crachotante, voilà que j’attrape des bribes de leur conversation: “Et ce machin, là, vous savez à quoi ça sert?” demandait le chauffeur. “Aucune idée”, répondait le dépanneur. Selon toute vraisemblance, le camion allait rester là un bon moment! Bien fait.
Catégorie : Général
Petits cadeaux pas désintéressés
Un matin tôt, en arrivant à la gare, voilà qu’une main secourable me tend soudain une brique de jus d’orange! Je la prends un peu machinalement, marmonne un remerciement. C’est que je suis encore fort mal réveillée, et que tous mes sens réglés en pilote automatique sont tendus vers un seul but: ne pas rater le train pour aller au boulot. Puis je remarque le petit papier qui accompagne le berlingot. Un papillon de propagande pour un parti politique. C’est vrai, nous sommes en période d’élections! Je me souviens alors des roses rouges distribuées aux femmes dans la rue quelques jours auparavant, et d’une jolie enveloppe rose adressée à mon nom, que j’avais prise pour un faire-part de mariage ou de naissance, mais qui contenait une carte publicitaire à la gloire d’un candidat au conseil d’ Etat. Décidément, on ne sait plus qu’inventer pour se faire élire… A propos du jus d’orange, en tout cas, c’était raté: il m’a causé de terribles brûlures d’estomac. Le parti en question n’aura pas mon vote!
Libre!
Libre, je suis libre! Je possède désormais un abonnement général, qui m’ouvre les portes des trains, bus et bateaux dans (presque) toute la Suisse! Adieu la queue au guichet et les crises contre les distributeurs de billets qui ne rendent pas la monnaie, adieu le fastidieux timbrage des cartes multicourses! A moi les excursions à Saint Gall (enfin voir la bibliothèque!), au Tessin, à IKEA ou aux Ponts-de-Martel! Bref, c’est formidable. Et puis, ça m’évitera aussi quelques épisodes gênants. L’autre jour, dans le train, j’ai voulu débarrasser la fourre de mon abonnement demi-tarif de tous les vieux tickets périmés qui la faisaient craquer aux entournures. Malheureusement, dans mon enthousiasme, j’ai aussi jeté le billet de mon voyage du moment. La honte, quand il a fallu aller en repêcher les morceaux déchirés dans les entrailles repoussantes de la poubelle, pour les présenter au contrôleur…
Sur un air de jazz
Genève, Place du Bourg de Four. Un petit groupe de musiciens de rue joue un jazz entraînant. Bien que ce soit l’heure du dîner, de nombreux passants s’arrêtent un moment pour les écouter. Et chose assez inhabituelle, il y en a même qui dansent. En m’approchant, je constate que ce sont des handicapés mentaux. Ils se déhanchent, sautillent, moulinent des bras avec enthousiasme au rythme de la musique. Quel contraste avec le reste du public qui reste immobile, rigide, comme enraciné au bitume! C’est à peine si certains osent un discret dodelinement de tête. Des gens dits normaux. A voir les premiers, que l’on qualifie volontiers d’anormaux, à voir leur énergie, leur corps libérés et leurs visages rayonnants, franchement, on se demande qui sont les plus à plaindre!
A la brocante
Deux dames déplient et replient avec une coordination parfaite des nappes de dentelle aussi vielles qu’elles. Une petite fille très concentrée lit un livre écorné en suçant son pouce, sans remarquer qu’il manque la moitié des pages. Un tapis détempé sèche sur une échelle pour oublier les averses de la nuit. Une mère fait une démonstration d’haltères à sa fille sceptique (“Mais oui, ce serait bien pour le violon!”). Un enfant joue au foot à travers les stands avec un ballon à demi dégonflé. Un autre refuse de se séparer d’un animal en peluche orange. Deux copines font tant bien que mal des essayages sans cabine: la première des bottes à boucle toutes avachies, la seconde une minijupe en imitation léopard (“En ne mangeant plus que des yogourts nature, ça irait” “Quoi, mes bottes ou ta jupe?”). S. soupèse avec intérêt une ancienne machine à écrire aux touches de bakélite, et repart avec sa petite soeur aussi. On rigole en découvrant les papiers incongrus qui tapissent l’intérieur de certains meubles de style. On étend des tables à rallonge puis on ne sait plus comment les replier. La plupart des chaises, quant à elles, ne sont pas à vendre: elles sont disposées en rangs face à une estrade en attendant la cérémonie du dimanche. Le week-end dernier, Emmaüs fêtait ses 25 ans. L’occasion d’organiser une brocante un peu spéciale, aussi riche en bric-à-brac qu’en scènes cocasses. Bon anniversaire et longue vie!