Désormais, même les bureaux des objets trouvés sont touchés par la technologie. Finie l’époque où, ayant égaré son parapluie dans le bus ou le train, on s’adressait à un guichet spécial dont l’employé parcourait des étagères chargées de trucs hétéroclites pour le retrouver. Mon mari en a fait l’expérience à la gare de Berne, après avoir perdu sa casquette en galopant pour attraper un intercity. Première chose: localiser le bureau concerné, qui se cachait en fait au premier étage, dans le bureau des bagages. Soit. La pièce était presque totalement vide, mis à part un guichet ouvert où se tenait une vigoureuse et antipathique matrone suisse-allemande. S.lui a donc exposé sa requête, en allemand, ce qui a semblé la dérider un peu. Je m’attendais alors à la voir disparaître dans un local attenant, ou du moins passer un coup de téléphone. Mais non: elle nous a simplement tendu un formulaire portant l’adresse d’un site internet. Il fallait s’y inscrire, décrire l’objet et les circonstances de sa perte, et attendre une réponse par email. Au revoir, merci (ou plutôt “ade, merci” en dialecte local). Un peu surpris par le procédé, S. s’y est attelé le soir même, en se demandant comment faisaient les gens sans accès internet, genre les personnes âgées… Un premier mail est arrivé 4 jours plus tard: pas trace de la casquette. Sur le moment, ce système un peu désincarné m’a donné l’impression que le couvre-chef flottait quelque part dans le brouillard, hors d’atteinte… C’était un peu vrai. Six jours après tombait un second mail, définitif: l’objet n’a toujours pas été retrouvé, opérations terminées. Reste un brin de nostalgie. Pour une casquette en tweed ramenée d’Irlande, mais aussi pour les bureaux d’objets trouvés à l’ancienne, qui avaient plus de charme, et plus d’humanité.
Polvoron
Grippe oblige, je me suis replongée durant les fêtes dans la superbe trilogie de films du “Seigneur des Anneaux”. Un élément m’y a toujours fascinée: le lembas, ce pain de route elfique dont une seule bouchée suffit à nourrir un adulte. Et bien, je pense avoir trouvé son équivalent à peu près parfait dans notre monde. Il s’agit des polvoron, une spécialité des Philippines qu’un collègue fraîchement revenu de là-bas m’a fait goûter. Composés essentiellement de lait en poudre, de farine rôtie et de beaucoup de beurre, ces biscuits ovales emballés dans de jolies cellophanes colorées ont une pâte sablée très friable au goût salé-sucré. Apparemment, on peut y ajouter divers ingrédients, comme des noix de cajou, du chocolat, ou des sortes de flocons de riz (pinipig). Mais la recette de base est déjà en soi très nourrissante. Manger un seul de ces biscuits m’a calée pratiquement pour toute la matinée. Je n’ai tout simplement pas pu avaler le second, qui est encore sur mon bureau. Il attend la prochaine fringale. Ou un prochain voyage en Terre du Milieu.
Papa, dis bonjour!
La tendance me frappe depuis quelques années déjà: lorsque les gens (célèbres ou non) sont interrogés sur eux-mêmes dans les médias, presque tous affirment vouloir “aller vers les autres”, “rencontrer l’autre”, “s’ouvrir aux autres”, etc. Et pourtant, lorsqu’on regarde autour de soi, la société semble s’appliquer à prendre le chemin inverse. Désormais, à l’heure de la politesse plus que minimale, on se fait pratiquement regarder de travers si l’on salue un inconnu ou si l’on s’excuse de l’avoir bousculé… Heureusement, il y a des exceptions. Parfois inattendues, comme ce dernier matin dans le train Neuchâtel-Fribourg. A peine étais-je montée à bord, tirant la porte du wagon derrière moi, qu une petite voix s’élève: “Bonjour!” Je me retourne, et vois un garçon haut comme trois pommes qui me sourit de toutes ses dents. “Salut!”, lui réponds-je, plutôt charmée, avant d’aller m’asseoir un peu plus loin. La petite voix continue. “Papa, pouquoi tu n’as pas dit bonjour à la dame?” Silence, puis une voix d’homme bourrue: ” Ben, elle ne m’a pas dit bonjour”. Le garçon insiste: “Mais moi j’ai dit bonjour, et elle m’a répondu. Allez, papa, vas‑y, essaie!”. J’aurais bien voulu connaître la fin de la conversation. Malheureusement, elle a été noyée par le rap tonitruant qui s’est élevé d’un compartiment voisin. Histoire de rencontrer les autres en faisant partager ses goûts musicaux, probablement…
D’Irlande en vrac (5): Billet pince-sans-rire
A peine avons-nous débarqués à Aerfort Bhaile Atha Cliath (sic), l’aéroport de Dublin, que nous pouvons déjà nous payer une tranche d’humour irlandais. Nous hissons laborieusement notre mois de bagages à bord du bus qui doit nous amener au centre-ville, un double-decker identique à ceux de Londres hormis ses couleurs bleu et jaune. Autour de nous, beaucoup de rouquins aux yeux clairs, dont les visages un peu taillés à la serpe rappellent exactement les Irlandais des films américains. S. se rend auprès du chauffeur, placé à droite puisqu’en Irlande on roule à gauche, pour acheter nos billets. L’employé est prolixe. Il lui explique longuement les avantages des tickets aller-retour, qui sont disponibles à un distributeur planté à quelque distance de là. Mais S. n’a envie ni de courir, ni de se battre contre cette machine inconnue (les infernaux distributeurs fribourgeois nous ont un peu traumatisés à cet égard) en espérant que le bus, censé l’attendre, ne parte pas sans lui, emportant ses valises et son épouse vers l’inconnu (en l’occurence Busaras, la gare routière de la capitale; mais bon, on vient juste d’arriver, et tout est encore inconnu). Il choisit donc de prendre deux billets simple course, qu’il peut acheter directement auprès du chauffeur. La réaction est immédiate, avec un accent à couper au couteau: “And after all that, you still want a single-way ticket?” (Et après tout cela, vous voulez quand même un billet simple course?). Le visage reste impassible, mais les yeux pétillent. Bienvenue en Irlande!
D’Irlande en vrac (4): Fungie de Dingle
Dingle, charmant petit port blotti dans une baie, sur la péninsule du même nom. Ce n’est pas son atmosphère paisible ou ses façades aux teintes pastel qui y attirent le plus de visiteurs, mais… un dauphin. Celui-ci, qui s’est apparemment apprivoisé lui-même, a élu domicile dans la baie depuis les années 80, et joue sans se lasser avec les bateaux et les nageurs qui viennent lui rendre visite. Baptisé Fungie (fun guy), il est même devenu l’attraction touristique principale de l’endroit, et fait l’objet de promenades en bateau régulières. Grands amateurs d’animaux, nous nous sommes offerts la croisière; un peu chère, mais après tout, il n’est pas si fréquent de voir un dauphin sauvage. Nous embarquons donc avec une dizaine d’autres personnes sur un petit bateau ouvert aux banquettes de bois, par un bel après-midi ensoleillé. Les paysages de la baie sont dignes d’un tableau impressionniste: phares aux couleurs vives, falaises ridées tapissées de fleurs roses, prairies aussi veloutées que des terrains de golf, rochers aux formes tarabiscotées, vols de goélands, mer d’un bleu profond,… On se sent vraiment en vacances. On se prend presque pour des marins au long cours. En même temps, bien sûr, on scrute les vagues, se demandant si et où le dauphin apparaîtra. S’il ne se montre pas, la balade est gratuite: il faut croire que la rencontre est garantie! Soudain, un cri, et tout le monde se rue à tribord, faisant pencher dangereusement l’embarcation: une silhouette sombre et fuselée file sur le flanc du bateau! Une pirouette montre la nageoire dorsale, le trou de respiration, la queue. Puis Fungie reste invisible un long moment. Tout le monde est excité, et serre fébrilement son appareil photo en observant les alentours. Le dauphin réapparaît plus loin, près d’un autre bateau, avant de plonger à nouveau. L’espace de quelques secondes, nous le voyons même sortir de l’eau sa bouille souriante et pousser un petit cri comme pour nous saluer. Ce jeu de cache-cache dure ainsi pendant presque une heure, avec à chaque apparition du cétacé des exclamations enthousiastes et le bateau qui tangue fortement tandis que les gens se précipitent d’un côté à l’autre. Je ne suis même pas sûre qu’il y avait des gilets de sauvetage sous les bancs! Finalement, nous regagnons le port, un peu fatigués, très contents. Tous les participants ont le sourire aux lèvres. Pour bien conclure l’excursion, nous nous faisons tirer le portrait aux côtés du héros du lieu. Pas en vrai, bien sûr, mais en bronze: Fungie a sa statue grandeur nature sur la place près du port! A vrai dire, il nous semble un peu émerger d’un songe. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises aquatiques. Lorsque dans la foulée nous avons visité l’aquarium, nous avons eu l’occasion de…caresser des raies et des soles qui venaient faire le beau! Contrée particulière que l’Irlande, décidément.