Peu après l’épisode des lunettes belfastoises, j’entre dans un magasin de chaussures et tombe en arrêt devant une fort jolie paire: de fines baskets en cuir brun à empiècements de satin fleuri bordeaux. Malheureusement, il n’y a qu’un modèle d’exposition, trop grand, et comme les pointures sont anglaises, je ne sais pas laquelle demander. C’est que nous sommes ici au Royaume Uni- même s’il semble impossible de dénicher un café servant des afternoon teas avec des scones… Prenant donc à deux mains mon courage, la basket et mon meilleur anglais (pas toujours performant dans ce pays), je vais me renseigner auprès du vendeur. Costard gris foncé et crête de coq gominée, celui-ci s’avère étonnamment efficace. Sans tergiverser, et sans avoir l’air autrement étonné de ma requête, il sort de derrière son comptoir un instrument que je n’avais plus vu depuis mon enfance (époque où ma pointure changeait très vite): une sorte de semelle géante avec une réglette coulissante servant à mesurer la longueur du pied. J’ôte donc mes chaussures de randonnée, un peu gênée d’exposer mes chaussettes imprégnées de toute une journée de visites (par chance, elles ne sont pas trouées), et me plie à l’exercice. Verdict: taille 4. Une vendeuse m’apporte bientôt les chaussures en question, qui vont très bien. Marché conclu. Je quitte le magasin avec ma carte de crédit plus légère de quelques dizaines de livres, et l’espoir que l’automne suisse ne soit pas trop pluvieux pour que je puisse porter mes nouvelles acquisitions. En ce qui concerne l’afternoon tea, prononcé high tea en Irlande, il a finalement eu lieu quelques jours plus tard. Il a même été particulièrement high, puisque je l’ai pris durant le vol de retour, à 11’000 mètres d’altitude!
Regardez-moi bien dans les yeux…
Rendez-vous chez l’ophtalmologue. Le cabinet est situé au rez-de-chaussée d’une villa, ce qui surprend d’ailleurs un peu à la première visite: la réception est installée dans le corridor, la salle d’attente dans un petit salon avec moquette, et la salle de bains est encombrée d’appareils médicaux. En attendant le médecin, assise dans un fauteuil d’examen en cuir noir, j’observe un peu la pièce (plongée dans une lumière tamisée, confort des yeux oblige). Outre une commode ventrue, un tapis persan et un calendrier illustrant une tortue sur la page de septembre, pas le moindre élément de décoration ou de fantaisie. Les quelques tableaux pendus aux murs sont si abstraits que je les soupçonne de faire partie des tests de la vue! De la rigueur, rien que de la rigueur. Des étagères remplies de boîtes soigneusement étiquetées contenant masques, gants ou échantillons de médicaments. Un évier avec un flacon de savon désinfectant. Des bibliothèques chargées de revues et d’ouvrages médicaux. Une maquette d’oeil en trois dimensions. Des panneaux grouillant de chiffres et de lettres. Des appareils sortis tout droit d’un roman de style steampunk, tous prévus pour regarder dans les yeux d’une manière ou d’une autre. Un présentoir chargé de prospectus concernant le glaucome. Sur le bureau, une lourde paire de lunettes à verres interchangeables, plusieurs sortes de collyres en doses, des piles de paperasses, de livres, de dossiers, et, surprise… un petit canard jaune en caoutchouc! La praticienne, femme d’un certain âge, n’est donc pas aussi rigide qu’elle en a l’air! Puis je réalise. Non loin dudit canard, un bac en plastique laisse entrevoir un hochet et plusieurs petits jouets. Ce ne sont pas des entorses humoristiques à l’austérité du cabinet, mais des accessoires prévus pour capter l’attention, et donc le regard, des jeunes patients! De la rigueur, rien que de la rigueur…
D’Irlande en vrac (2): Shopping du soir à Belfast (1)
Notre séjour à Belfast nous rapprochant gentiment de la fin de notre périple, il était temps de penser aux cadeaux et autres souvenirs. Après une journée de visites culturelles bien remplie (selon nos habitudes), nous avons donc voulu profiter des ouvertures du soir pour faire un peu de shopping. Mais surprise: outre les centres commerciaux ou les grandes chaînes, assez peu de magasins restaient ouverts, et la zone commerçante, pourtant trépidante la journée, ressemblait à un vaste désert. Un peu étrange pour une capitale… Ce qui n’a heureusement pas empêché de faire quelques achats intéressants. Pour commencer, une paire de lunettes de soleil seyantes: un miracle auquel je ne croyais plus en cette saison de gros hublots noirs. Mais l’opération n’a pas été simple, puisque j’ai voulu utiliser le bon de réduction reçu lors d’un achat antérieur dans une succursale, et qu’à la caisse, le lecteur de codes barres refusait obstinément d’effectuer le rabais. La vendeuse, perplexe, a fini par appeler sa supérieure. Qui n’a rien pu faire non plus, sinon appeler sa propre supérieure. Qui est arrivée avec un petit tailleur marine et une grande ignorance du fonctionnement de la caisse. Il était assez amusant de voir trois échelons de la hiérarchie s’agiter autour de la machine à cause d’un petit bout de papier… Finalement, un bip salvateur a retenti, et tout est rentré dans l’ordre. J’ai pu acheter mes lunettes à moitié prix, avec un étui de protection en prime. Sans doute aurais-je dû signaler que la succursale qui m’avait remis le bon, au demeurant parfaitement valable, était située à Cork, au sud du pays… Certaines frontières restent impénétrables!
D’Irlande en vrac (1): à vélo dans la tourbière
Les cartes sont parfois trompeuses, même lorsqu’elles sont établies avec soin, comme celles du National Survey irlandais. Ainsi, lors de notre circuit en petite reine dans le Connemara, nous avions repéré une alternative au parcours proposé par l’agence de voyages, qui permettait non seulement de traverser le petit pont de pierre filmé dans “L’homme tranquille” (film-culte en Irlande), mais aussi d’éviter un long tronçon de route principale. Il s’agissait d’emprunter un chemin de campagne suivant le tracé d’une ancienne voie de chemin de fer, qui selon la carte rejoignait ladite route au bout de quelques kilomètres. Nous nous sommes donc mis en selle, sous un ciel gris et mouvant. Perdu dans la verdure, le pont était charmant (le chien de la ferme voisine un peu moins, mais heureusement, il était attaché). De l’autre côté, le fameux chemin déroulait ses gravillons, bien droit, bien plat, au bord d’un joli petit lac marécageux. Dans le silence irréel qui baignait le paysage, on aurait presque cru entendre le souffle et les hoquets du train fantôme. Nous avons passé un grand portail, en le refermant soigneusement derrière nous pour que les moutons, agiles comme des chèvres, ne se sauvent pas. Depuis là, le chemin devenait plutôt une piste surélevée (on imaginait sans peine l’ancienne voie ferrée sur son terre-plein), herbue et caillouteuse, mais toujours bien visible et tout-à-fait praticable. Mais un autre portail nous attendait un peu plus loin: plus haut, plus rudimentaire, et impossible à ouvrir: il a fallu le passer en grimpant par-dessus les barbelés et en portant les vélos à bout de bras (tout en évitant de tomber dans l’eau noire de la tourbière qui s’écoulait en contrebas sous une sorte de petit pont). La piste continuait, parfois envahie par de gros buissons d’aubépine auxquels les moutons avaient perdu des lambeaux de laine. Mais force était de constater qu’elle s’estompait peu à peu. Au bout d’un moment, elle a fini par se fondre totalement dans la lande marécageuse… La carte nous avait menti. Découragés à l’idée de faire demi-tour, surtout que la route principale était désormais toute proche, nous avons décidé de persévérer. Nous voilà donc poussant laborieusement nos vélos en zigzaguant entre trous d’eau, sols suspendus, tranchées d’exploitation de la tourbe et touffes de joncs. Avec d’autant plus de prudence que nous avions vu une exposition sur les momies des tourbières au Musée National de Dublin! Nous avons enfin atteint la route, au moment précis où y passait un groupe de cyclistes: c’étaient les Italiens un peu snobs qui faisaient le même circuit que nous, et que nous croisions régulièrement au fil des étapes! L’épisode m’a coûté un accroc à mon meilleur pantalon, une chaussure teinte en brun, une tique dans le genou, des bleus et quelques frayeurs, mais pour rien au monde je n’aurais voulu manquer leurs visages choqués lorsqu’ils nous ont vus émerger de la tourbière, tout crottés, en poussant nos bécanes pleines de boue et de brins d’herbe… Moulés dans leurs tenues jaune poussin, peut-être se demandaient-ils qui d’entre nous avait finalement l’esprit le plus sportif!
Le renard dans l’escalier
Fraîchement revenue de notre grand bol d’Eire, la tête encore pleine de trèfles (prononcer “shamrock”), je sors de l’ appartement les bras chargés de linge sale, dans le but d’aller faire la lessive à la buanderie de l’immeuble (après un mois de pérégrinations, ça devenait plutôt urgent). Première chose visible dans l’entrebaîllement de la porte: une crotte, modèle canidé, taille petite à moyenne, d’aspect frais. Le chien de la voisine du dessus se serait-il oublié sur mon palier ? J’ouvre davantage… et tombe sur un jeune renard tout effrayé, qui me regarde avec des yeux comme des soucoupes! Je referme la porte, et annonce calmement à mon mari qu’il y a un renard dans l’escalier. Celui-ci croit d’abord à une blague, bien sûr. Les légendaires Goupils qui gravitent autour de la maison chaque soir s’en tiennent strictement au compost.… d’habitude. Il enfile donc un pantalon par-dessus son pyjama et empoigne le balai. Une fois constatée la véracité de mes propos, il en appelle à la fois à ses talents de biologiste et d’ex-gardien de zoo pour diriger l’animal, plus terrifié que jamais, vers la sortie. A force de patience et d’habiles manipulations, portant parfois littéralement la bête au bout du balai, il parvient à la faire redescendre. Celle-ci file dans le jardin sans demander son reste, non sans avoir laissé un “cadeau” (liquide ou solide) à chaque étage. La concierge, qui a ouvert sa porte et l’a presque vu filer devant elle, lève les bras au ciel. On nettoie, on rigole, et on s’étonne que telle situation ne se soit pas produite plus tôt, puisque la porte d’entrée ouvre pratiquement sur la forêt. Quoiqu’une cage d’escalier d’immeuble n’a en soi rien de très attirant pour un renard, même si y habite un biologiste anciennement spécialisé dans le renard urbain! Notre visiteur s’était probablement égaré en quête de territoire. Heureusement pour tout le monde, l’épisode ne s’est pas répété. Mais il a mis une majuscule sympathique à notre retour à la Pisciculture.